Il n’est jamais trop tard pour tenter de comprendre les raisons d’un fiasco, ne serait-ce que pour s’efforcer d’éviter sa répétition. En matière de relations internationales, la fin de la guerre froide avait alimenté l’utopie d’une fin de l’histoire dans ce qu’elle avait de plus tragique. On sait ce qu’il advint : depuis un tournant invisible que Ghassan Salamé situe entre 2003 et 2006, une vaste dérégulation de l’ordre mondial s’est mise en marche.

Son livre La Tentation de Mars, consacré au retour de la guerre qui marquera le premier quart du XXIe siècle, dresse de cet échec un inventaire érudit et à l’occasion malicieux, à l’image de son auteur. Tour à tour professeur en relations internationales à Sciences Po, ministre au Liban et diplomate pour les Nations unies, Ghassan Salamé s’est appuyé sur ce respectable bagage pour identifier six sources de notre malheur actuel : « La guerre est très coûteuse à tous les points de vue, mais elle ne veut pas mourir. »

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « L’Accélération de l’histoire », de Thomas Gomart : les Européens dans le brouillard de la guerre

La première d’entre elles est la plus évidente. La promesse kantienne de paix perpétuelle reposait sur la conviction qu’elle découlerait presque mécaniquement de l’établissement de républiques souveraines, liées par des traités adossés à un droit supranational permettant de solder les différends. Nous assistons au contraire à un « reflux démocratique », sous les coups de boutoir de l’autoritarisme et du populisme qui se nourrissent mutuellement.

La deuxième grande désillusion concerne le « doux commerce » qui devait exclure la guerre de la grammaire de la diplomatie en favorisant les échanges. Las, « le capitalisme se différencie en se mondialisant parfois jusqu’à en devenir méconnaissable ». Le XXIe siècle oppose désormais « un capitalisme d’Etat au capitalisme de marché » (on aura reconnu la Chine d’un côté et les Etats-Unis de l’autre), devenus « opérationnellement hostiles ».

Lire aussi le récit (2023) : Article réservé à nos abonnés En 1919, à Versailles, une paix de compromis entre alliés à l’issue de la Grande Guerre

La troisième déconvenue, selon Ghassan Salamé, est venue d’une révolution technologique « féconde en médias, stérile en sens ». Dans les systèmes politiques fermés, elle a donné l’avantage à la censure et à la répression sur le désir de liberté. Dans les démocraties, on a découvert qu’« être partisan pouvait être rentable et on s’est engouffré dans la brèche » pour « balkaniser le public en affinités différentes », ce qui a fait place nette pour une « dérive culturaliste ».

« Narcissisme des petites différences »

Il s’agit du quatrième moteur du retour de la guerre, puisque « l’affirmation identitaire n’a jamais été aussi vigoureuse depuis qu’on peut la clamer » sur les réseaux sociaux. L’auteur profite de cette étape pour se livrer à une déconstruction stimulante du prêt-à-penser que continue d’offrir le « choc des civilisations » cousu par Samuel Huntington. Il oppose ainsi à son « déterminisme branlant » le constat que « les conflits entre pays culturellement similaires, mus par le “narcissisme des petites différences”, sont plus fréquents que ceux qui opposent des Etats ou des groupes appartenant à des ensembles culturels différents ».

Il vous reste 40.93% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version