Harold Lupez-Nussa « Timba a la Americana » - Pochette de l’album (Blue Note Records)

Dès les premières mesures, on sait que quelque chose a changé dans la musique d’Harold López-Nussa. Jusqu’à présent, la carrière du Cubain avait suivi une trajectoire somme toute classique. Issu d’une famille d’artistes, diplômé de l’Instituto Superior de Arte, fort de ses huit albums, Harold était devenu un des plus brillants pianistes de son île, remarqué dans le monde entier.

Ces faits étant énoncés, les observateurs les plus aguerris n’auront pas été surpris de l’irruption de l’harmoniciste Grégoire Maret dans l’univers du musicien. Tout a commencé en 2017 lors d’un concert au club new-yorkais le Blue Note de New York réunissant Harold, Grégoire, son frère batteur Ruy Adrián, le contrebassiste Gaston Joya et le percussionniste cubain vedette Pedrito Martínez. Une aventure qui se prolongera le temps de quelques dates, dont une prestation remarquée au North Sea Jazz Festival. L’ironie de l’histoire sera de voir cette collaboration initiée au Blue Note se concrétiser discographiquement chez Blue Note.

Cela faisait quelque temps que ces deux-là se faisaient de l’œil : Michael League, leader de Snarky Pupy et de Bokanté, de plus en plus producteur, était venu voir le trio d’Harold au festival Jazz Plaza de La Havane avant de l’inviter à son propre festival à Miami. L’alignement des planètes se produira après l’installation d’Harold à Toulouse en 2022. Aidés par la proximité de lieu entre le Toulousain d’adoption et le Catalan d’adoption (League a installé son studio dans le petit village d’Els Prats de Rei), les échanges iront bon train et Harold ne tardera pas à rejoindre les champions de League.

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« Tentez des choses. Cassez le moule ! »

C’est Michael qui pousse Harold à passer au Rhodes. « Michael connaît très bien la musique cubaine, raconte Harold. Il parle parfaitement espagnol. C’est un producteur très impliqué. C’est lui qui faisait la cuisine pendant les enregistrements ! Il est arrivé avec ses pédales, ses synthés et ses effets. Il m’a encouragé à repousser mes limites. » C’était l’unique consigne que leur avait donnée Don Was, le patron de Blue Note. « Il m’a cité en contre-exemple Charles Lloyd, que le label a accompagné dans la poursuite de l’œuvre. Don m’a dit : Je ne veux pas ça pour toi. Tentez des choses. Cassez le moule ! »

Si l’album évoque la timba, c’est qu’il distille un jazz afro-cubain aux influences multiples à l’image de cette salsa cubaine née dans les années 90 des influences multiples du son, du jazz, du funk et du rock. A la Americana car faite avec les Américains. En premier lieu le new-yorkais Grégoire Maret, Suisse de naissance encensé par Herbie Hancock et Marcus Miller, à la liste de collaborations longue comme le bras. Pilier de la construction, l’harmoniciste met toute sa virtuosité au service du pianiste. Parmi ses autres complices, on trouve le contrebassiste Luques Curtis, qui a longtemps travaillé avec Eddie Palmieri. « Il est très à l’écoute, précise Harold, et joue à la façon portoricaine : en léger retrait sur le temps, comme le faisaient les anciens à Cuba. » L’accompagnent également son frère Ruy Adrián, magnifique batteur qui accompagne Harold depuis qu’ils sont tout petits, mais également Bárbaro Machito Crespo, du célèbre groupe Osain Del Monte. « C’est Michael qui le voulait. Il fallait quelqu’un qui, comme Pedrito, venait de la rue, de la rumba, qui n’avait pas fait les études académiques. C’était un très bon choix. On tourne en quartet mais j’espère l’avoir à un moment sur la tournée. »

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Timba a la Americana est un album, non pas expérimental, mais d’expérimentations, avec des titres mosaïques. Funky, un titre pas funky pour un sou, mais groovy et foisonnant, est une excellente introduction au disque. De la même façon, Cake a la Moda, démarre en mambo mais n’a rien à voir avec un mambo ou je n’y connais rien. « Mais oui, confirme Harold. Je suis bien arrivé avec mon idée de mambo, mais ils m’ont complètement chamboulé mon morceau ! » Les échanges entre le producteur et les musiciens semblent avoir été le mot d’ordre, à l’image de Rat a Tat, une composition de Michael qu’ils ont réussi à latiniser. De Conga a la Americana à Tumba la Timba, les expériences s’enchaînent jusqu’à Hope, un titre né du confinement, un brin New Orleans, une chanson d’espérance que la pandémie s’arrête, que la vie et la musique reprennent.

A côté de ces bâtonnets de dynamite, Timba a la Americana est un disque empli de nostalgie, inspiré par la séparation avec la terre nourricière. « Mon départ de Cuba, confie Harold, a eu un impact important sur l’album. Mon pays m’a manqué beaucoup plus que je ne l’aurais imaginé. Les odeurs, les bruits, le climat, toutes ces impressions m’ont inspiré Mal du Pays. » Un titre où le Rhodes apporte une charge émotionnelle bouleversante… « Encore une idée de Michael, précise Harold. J’avais pensé la jouer au piano. » Le musicien apparaît bien au piano sur Mama, un titre dont la furtivité (1 minute 48) évoque un souvenir lointain qui revient. « Je l’avais enregistré en piano solo il y a longtemps, après la disparition de ma mère. Nous l’avons transposé en duo avec l’harmonica. » Ils enchaînent Terra Mia, un morceau de son oncle Ernán López-Nussa, enregistré par Havana Report avec des légendes comme Tata Güines et Changuito. « … un titre que je connaissais bien, mais pas les musiciens. Je ne leur ai pas fait écouter. On a réussi à l’emmener ailleurs. Et sur scène, on l’emmène encore ailleurs… »

Au-delà de la nostalgie, c’est dans un véritable romantisme que baigne l’album… Cette timba à l’américaine ne se révélerait-elle pas au fond bien française ? « Je n’y avais jamais pensé, réfléchit le musicien dont la grand-mère était française. Il y a la parenté de l’harmonica avec l’accordéon, bien sûr. Mais c’est vrai : le romantisme français a très certainement infusé dans ma musique. »

CD Harold López-Nussa : « Timba a la Americana » (2023, Blue Note Records).

Concerts les 16 & 17 avril 2024 au Ducs des Lombards, Paris.

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