Livre. Philosophe et poète, auteur d’une œuvre qui puise sa sève dans toutes les formes de création artistique, Jean-Christophe Bailly a fait de la ville un de ses sujets de prédilection. La dérive urbaine comme principe enclencheur d’une pensée vagabonde. Dans La Ville en éclats (La Fabrique éditions, 200 pages, 13 euros), ce grand marcheur arpente les rues à la recherche du hasard, des collisions fertiles entre ce qui surgit sous ses yeux et les méandres de sa mémoire, convoquant des souvenirs en ordre aléatoire.

Le Lapin sauté, l’un des dix textes réunis dans cet ouvrage et qui tire son nom d’un arrêt de bus et d’un restaurant, réveille tout un monde disparu à travers une déambulation dans les rues d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), aux abords du lycée Voillaume, où l’auteur fut maître auxiliaire pendant quelques années, au lendemain de Mai 68. L’écriture déroule, comme une pelote, le fil d’une histoire des banlieues ouvrières, remonte jusqu’à la Résistance et le camp de concentration de Ravensbrück, prenant au détour d’une incise la coloration d’un certain cinéma réaliste de l’époque.

Les textures, les odeurs, les saveurs remontent à la surface. Les fantômes reprennent la place qu’ils ont jadis occupée, tel cet ancien collègue, professeur de philosophie, doué d’une « intelligence exubérante et inventive, quoique incompréhensiblement dévoyée par le plus accablant sectarisme ». C’est toute une « topographie du souvenir » qui se déplie ainsi : elle vient étoffer d’une profondeur sensible la froide carapace de la ville au présent. Ecrit en 2012, ce très beau texte sur Aulnay-sous-Bois répond à une commande de l’autrice et metteuse en scène Gilberte Tsaï pour un spectacle inspiré des Passagers du Roissy-Express, de François Maspero (Seuil, 1990).

Ecrivain flâneur

Au fil des dix textes, le registre n’est jamais le même, les sujets sont très variés. Ils vont de l’enflure patrimoniale à la violence des normes standardisant les modes de vie, de la notion de « zone urbaine sensible » à l’histoire des utopies… Un « étoilement » assumé, pour reprendre le mot de l’auteur, comme une réponse à la nature fragmentaire et insaisissable de la ville contemporaine.

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