Vingt-quatre jours après sa nomination, Sébastien Lecornu a donc dévoilé sa « rupture » de méthode. Vendredi 3 octobre, lors d’une déclaration surprise, le premier ministre a promis de ne pas utiliser l’article 49.3, outil constitutionnel des gouvernements aux abois. Les sceptiques n’y ont vu qu’une manœuvre habile de la part d’un homme déjà empêtré dans des discussions stériles avec les chefs de parti. Sans passage en force du budget, les oppositions auront moins d’occasions de censurer le chef de gouvernement « le plus faible de la Ve République », comme il se définit lui-même. Venant d’un proche d’Emmanuel Macron, un président autrefois « jupitérien », l’initiative est louable.

Pensé par le père de la Constitution Michel Debré pour « rationaliser » un parlementarisme honni par le général de Gaulle, l’article 49.3 empoisonne la vie politique depuis des années. Dégainé par des exécutifs contestés dans la rue ou à l’Assemblée nationale, il évite certes les blocages des textes en se passant de l’examen des parlementaires, mais il verticalise un peu plus le pouvoir exécutif. En prenant cette décision, M. Lecornu prend acte de la récente parlementarisation de la vie politique. Une évolution notable.

Depuis qu’Emmanuel Macron a échoué à conquérir la majorité absolue lors des élections législatives de 2022 et depuis que son camp n’est plus qu’une composante d’une Assemblée morcelée après celles de 2024, l’exécutif s’était refusé à admettre cette réalité. Elisabeth Borne avait dû utiliser l’article 49.3 vingt-trois fois. Michel Barnier et François Bayrou y avaient été contraints également pour faire passer les derniers projets de loi de finance. Rejeté dans les urnes, le pouvoir est ainsi resté sourd aux reproches d’une partie des électeurs, particulièrement ceux issus de la gauche.

Le premier ministre, Sébastien Lecornu, à Matignon, le 3 octobre 2025.

Menacé d’une censure très rapide, M. Lecornu prend l’opinion à témoin et place chacun devant ses responsabilités. Dans les semaines à venir, le gouvernement ne pourra plus faire semblant d’être ouvert à la discussion tout en se réfugiant derrière le couperet du 49.3 pour faire passer son budget. Les ralliés au macronisme, notamment le parti Les Républicains, pourront moins facilement faire monter les enchères sur des sujets comme l’aide médicale d’Etat, car ils prendraient le risque d’être les responsables de la paralysie. De leur côté, les oppositions dites « de gouvernement », comme le Parti socialiste, ne pourront plus rester arc-boutées sur leurs propositions initiales en s’offusquant ensuite de l’autoritarisme du gouvernement. Le nouveau premier ministre tente ainsi d’enrayer la mécanique mortifère des petites phrases et des postures par médias interposés.

Mais, sans actions concrètes, cette promesse ne sera suffisante ni pour créer une culture du compromis ni pour débloquer le pays. Dans cette fin de règne d’Emmanuel Macron dominée par la lassitude des Français et le risque du Rassemblement national, les groupes politiques de l’Assemblée pourraient avoir la tentation de multiplier les amendements, les propositions de loi et les manœuvres, rendant encore un peu plus incompréhensible le travail parlementaire.

Face au pouvoir législatif, l’Elysée et Matignon sont-ils vraiment prêts à faire des pas vers la gauche en avançant sur la justice fiscale, le sujet-clé du prochain budget ? Vendredi, Matignon a affirmé qu’il ne soutiendrait pas un texte déposé par la gauche qui aurait pour objectif d’instaurer la taxe Zucman, devenue un totem. Et la gauche a jugé très sévèrement l’idée de M. Lecornu de taxer les holdings sans toucher aux biens professionnels, qui constituent pourtant l’essentiel du patrimoine des ultrariches.

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Le Monde

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