A première vue, la tombe 126 du cimetière de Paterna, petite ville près de Valence, pourrait paraître classique – une stèle, des fleurs. Elle cache pourtant une fosse commune : un trou de 6 mètres de profondeur dans lequel sont entassées environ 200 victimes du régime franquiste. Parmi elles, José Celda, un agriculteur républicain fusillé le 14 septembre 1940.

Dans l’album L’Abîme de l’oubli (Delcourt, 296 pages, 29,95 euros), Rodrigo Terrasa, journaliste au quotidien El Mundo, et le dessinateur et scénariste Paco Roca suivent le combat éprouvant de sa fille, l’octogénaire Pepica Celda, pour exhumer son corps. Celui de José Celda bien sûr. Mais aussi celui de Leoncio Badia Navarro, fossoyeur républicain de Paterna décédé en 1987 : au début des années 1940, il était chargé d’enfouir à la nuit tombée les cadavres que lui déposaient les miliciens – 2 238 dans ce cimetière.

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Dans un élan d’humanité, Leoncio Badia Navarro a consigné au péril de sa vie les noms, prénoms et dates de décès des victimes du régime. Il a également prélevé de petits souvenirs à remettre à leurs proches – ici un bouton, là un morceau de tissu ou une mèche de cheveux, comme celle que Pepita Celda, soixante-dix ans plus tard, conserve toujours dans un papier de soie.

Chape de plomb

Dans cet album qui invoque les fantômes des charniers du franquisme, les auteurs naviguent entre les époques et entremêlent habilement la lutte de Leoncio Badia Navarro et celle de Pepica Celda pour rappeler à la mémoire ceux que l’histoire a réduits au silence et qui gênent, encore aujourd’hui, un pays hanté par son passé. Car si Franco est mort en 1975, la chape de plomb entourant les crimes commis sous sa dictature perdure, grâce notamment à la loi d’amnistie promulguée en 1977 pour éviter les représailles au moment de la transition démocratique, mais aussi au revirement politique du gouvernement Rajoy, en 2011, sur la loi de mémoire historique de 2007.

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