Même si les états-majors syndicaux ont détourné la colère du monde agricole vers les normes et la science, le mouvement de 2024 n’a cessé de répéter que le travail des agriculteurs n’est pas payé à sa juste valeur. Pour comprendre cette anomalie économique, il faut revenir au principe de la politique agricole européenne : soutenir les paysans par des primes qui maintiennent les prix bas, officiellement pour préserver l’accès de tous à la nourriture, concrètement pour permettre à l’industrie agroalimentaire et à la grande distribution de conserver, voire accroître, leurs marges bénéficiaires. Dans cette logique, les agriculteurs deviennent le maillon d’une chaîne de production dont la dynamique les réduit à n’être qu’une variable d’ajustement des profits de l’amont et de l’aval de la chaîne.

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C’est conforme aux principes de la chaîne de valeur édictés dans les années 1980 par le chercheur américain Michael Porter. Une théorie néolibérale de la compétition de tous contre tous, centrée sur l’avantage compétitif d’une entreprise par rapport à ses concurrents. Dans ce cadre, on marie l’activité agricole, ses industries d’amont et d’aval et la commercialisation de la nourriture. Trois activités différentes, aux contraintes et aux facteurs compétitifs divergents. Prise en étau, l’agriculture y est le maillon faible, et, si elle adhère à cette idéologie, elle n’a d’autre choix que d’obéir au diktat de la compétitivité internationale et de la croissance infinie pour tenter de dégager un peu de bénéfice de son travail.

Il faut rompre avec cette pensée stupide qui brise les liens territoriaux et environnementaux de l’agriculture pour prétendre produire en masse quelque part et vendre partout. Cela ne se réalise qu’en détruisant le revenu de l’agriculteur, les écosystèmes et la santé du consommateur. En 2017, les Etats généraux de l’alimentation, centrés sur « une meilleure répartition de la valeur ajoutée », ne se sont pas préoccupés des conditions de production de cette valeur, n’ont pas tenu compte des travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat concernant la responsabilité de l’agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre et dans le rôle capital qu’elle occupe dans la résilience climatique et écologique.

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