Quand la prière devient le dernier geste d’un jeune homme, quand la haine s’introduit dans une maison de Dieu pour y frapper à mort, c’est toute notre idée de la France qui vacille. L’assassinat d’Aboubakar Cissé dans la mosquée Khadidja, à La Grand-Combe (Gard), alors qu’il se prosternait, n’est pas une tragédie isolée. Il est l’aboutissement d’un climat que nous dénonçons depuis des années et que l’indifférence collective a laissé s’installer : un climat où l’islamophobie a cessé d’être honteuse pour devenir ordinaire, banale, presque administrative.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Assassinat d’un musulman dans une mosquée du Gard : le suspect a exprimé dans une vidéo sa volonté de devenir un « tueur en série »

Depuis longtemps, nous le constatons : les regards, les injures, les agressions ne sont plus des exceptions. En 2023, le ministère de l’intérieur recensait une augmentation de 32 % des actes antimusulmans. La Commission nationale consultative des droits de l’homme l’a confirmé : selon son rapport de 2023, les préjugés envers les musulmans atteignent des niveaux alarmants, au point que 55 % de nos concitoyens estiment que « l’islam est une menace pour la République » – un chiffre tristement stable malgré les appels au sursaut. Chaque semaine, les mosquées de France signalent des lettres anonymes, des tentatives d’incendie, des profanations tues par la grande presse. Chaque mois, des familles musulmanes sont insultées dans l’indifférence. Chaque année, la même mécanique infernale recommence.

Le drame de La Grand-Combe n’a surpris que ceux qui refusaient de voir. Il n’est pas le fruit du hasard, ni l’œuvre d’un déséquilibré isolé. Il est le produit d’un discours public décomplexé : certains plateaux de télévision sont devenus des tribunaux de la religion musulmane, des voix politiques dénoncent « l’entrisme islamiste » là où il n’y a qu’engagement citoyen, l’islam est devenu l’alpha et l’oméga de la surenchère électorale.

Ennemi fantasmé

Aboubakar n’était pas seulement un fidèle. Il portait en lui la mémoire de ces 80 000 soldats maliens morts pour la France, de ces ouvriers invisibles qui ont construit ses routes, ses ponts, ses usines. Son assassin, aveuglé par l’ignorance, n’a pas vu en lui un compatriote, mais un ennemi fantasmé, façonné par des années de récits déformants. La haine naît toujours de l’oubli, et l’oubli naît toujours du mépris.

Il vous reste 61.03% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version