Livre. Au lendemain des massacres du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, une partie de la gauche radicale a manifesté une « joie étrange » ou une « indifférence », pointe la sociologue Eva Illouz : l’oppresseur payait enfin ses crimes. Dans ces attaques contre des civils, certains ont vu un acte de « résistance » du peuple palestinien, comme la philosophe américaine Judith Butler, d’autres se sont même réjouis du sang versé, tel le théoricien suédois Andreas Malm, alors qu’augmentaient dans différents pays les actes antisémites.

Des tensions ont aussi éclaté sur certains campus, en marge de mobilisations propalestiniennes, sans que l’on puisse les résumer aux débordements survenus. Pendant ce temps, Gaza était réduit en cendres sous les bombardements israéliens.

Face à de tels événements, la gauche est apparue tiraillée, maladroite à témoigner sa solidarité avec les uns et les autres, et divisée par la question de l’antisémitisme en son sein. Dans le débat transatlantique qu’a provoqué ce sujet, Eva Illouz est l’une des principales voix à s’être fait entendre pour dénoncer l’influence de certaines interprétations de la pensée postcoloniale sur les milieux progressistes les plus radicaux. Dans ce bref essai, Le 8-Octobre, généalogie d’une haine vertueuse (« Tracts » no 60, Gallimard, 64 pages, 3,90 euros), la Franco-Israélienne revient sur le jour qui a suivi l’attaque et où, dans certains cercles, une empathie sélective a sévi, au mépris des victimes israéliennes.

Dérive idéologique

Eva Illouz s’identifie toujours à la gauche, à son combat pour la dignité humaine, c’est pourquoi elle ne sous-estime pas la « négativité » et la critique « que la politique [du] gouvernement [israélien] peut susciter ». Mais l’universitaire entend ici faire le procès d’un « antisémitisme vertueux », qui emprunte de tortueux méandres pour que la haine des Israéliens apparaisse juste et morale. C’est, pour la sociologue, un dévoiement de la cause palestinienne.

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Une telle dérive idéologique prend naissance, selon elle, au sein des sciences humaines. Ces disciplines ont réalisé une nécessaire critique de l’Occident, des « entreprises coloniales meurtrières de l’Europe » et des « aventures impérialistes des Etats-Unis ». Mais cette réflexion, inspirée de la French Theory – soit la pensée postmoderne, incarnée notamment par Jacques Derrida, Michel Foucault ou Gilles Deleuze –, a conduit à une déconsidération du savoir, alors que son ambition était plutôt de mener une critique du discours et du pouvoir par le développement de théories explicatives englobantes, telles que le « décolonialisme ».

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