En droit français, peu d’expressions ont connu autant de succès que « bloc de constitutionnalité ». Cette locution désigne l’ensemble des normes juridiques auxquelles le Conseil constitutionnel peut se référer pour censurer les lois non conformes au texte fondateur de la Ve République. Délimiter au nom de quoi la loi peut être retoquée est, en France, un exercice hautement périlleux. L’Hexagone a une tradition légicentrique : la loi y est souvent perçue comme l’unique expression de la volonté générale, conformément à l’héritage de Jean-Jacques Rousseau et du combat mené pendant la Révolution contre l’absolutisme royal.

Le contrôle de constitutionnalité des lois naît avec la Constitution de 1958 et la création, au début de la Ve République, du Conseil. Pour exercer leur supervision, les juges de la rue de Montpensier commencent par se fonder uniquement sur le texte de 1958, dont les articles se bornent à régir les rapports entre les pouvoirs publics. En 1971, cependant, tout change : dans la décision « Liberté d’association », le Conseil opère une révolution juridique en donnant une valeur constitutionnelle au préambule de 1958 et aux textes qui y sont cités.

Ce préambule est « une poupée gigogne, un texte à tiroirs », analyse Charlotte Denizeau, maître de conférences en droit public à l’université Panthéon-Assas. Il mentionne à la fois la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui consacre les droits civiques et politiques, et le préambule de la Constitution de 1946, qui énumère les « principes particulièrement nécessaires à notre temps » que sont les droits économiques et sociaux. S’ajoute, en 2005, la loi constitutionnelle introduisant dans le préambule de 1958 la « Charte de l’environnement », qui reconnaît les droits et devoirs relatifs à la protection de la nature.

« Expression commode et pédagogique »

Le bloc de constitutionnalité est également composé de normes implicites ou non écrites comme les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » évoqués sans les lister par le préambule de 1946 et qui renvoient aux grands principes des lois de la IIIe République, mais aussi les « principes à valeur constitutionnelle » et les « objectifs à valeur constitutionnelle » consacrés par le Conseil – parfois sans être tirés d’un texte spécifique de la loi fondamentale. « Ces normes sont prétoriennes, c’est-à-dire dégagées, pour ne pas dire créées, par le juge constitutionnel à l’occasion de ses décisions », explique Samy Benzina, professeur de droit public à l’université de Poitiers.

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