Ces dernières années, le cinéma indien a vu émerger une vague de films nationalistes transformant des événements historiques ou contemporains en récits idéologiques. The Bengal Files, sorti en France en septembre, propose une lecture simpliste des émeutes de 1946 à Calcutta, décrites comme une conspiration musulmane, manipulant l’histoire à des fins politiques et amplifiant les tensions communautaires par des scènes spectaculaires. Chhaava, sorti en février, revisite la vie de Sambhaji Maharaj à travers un filtre idéologique hindutva, glorifiant le courage tout en occultant les complexités historiques, et transformant la mémoire d’un souverain en instrument idéologique.

Produit pour 1,8 million de dollars [1,5 million d’euros], The Kashmir Files, sorti en 2022, en a rapporté 40 dans le monde, se hissant au troisième rang des succès hindi de l’année. Surtout, il a reçu l’appui explicite du premier ministre, Narendra Modi, qui l’a salué comme révélant « une vérité cachée pendant des années ». Plusieurs Etats indiens l’ont exonéré de taxes et ont même accordé des congés aux fonctionnaires pour qu’ils aillent le voir. The Kerala Story, en 2023, a franchi un pas supplémentaire, imaginant des femmes hindoues séduites puis enrôlées par Daech au nom du « love djihad ».

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Illustrant le fait que le cinéma pouvait devenir un vecteur de mobilisation politique, ce phénomène est inquiétant non seulement pour la société indienne, mais aussi pour la perception et l’influence culturelle de l’Inde dans le monde.

Historiquement, pourtant, le cinéma indien proposait une esthétique pluraliste, héritée de la lutte anticoloniale et de l’engagement social. L’Indian People’s Theatre Association, collectif d’artistes de gauche, avait nourri l’identité naissante de Bollywood, avec des spectacles militants humanistes et des films prônant l’égalité. Des figures comme Raj Kapoor bâtissaient des univers d’inspiration socialiste : dans Shree 420, sorti en 1955, le héros met en gage sa médaille d’honnêteté, allégorie transparente de la corruption capitaliste. Do Bigha Zamin, en 1953, et Boot Polish, en 1954, racontaient, eux, la lutte des pauvres face à l’injustice économique et sociale.

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