C’est la première fois qu’elles se rencontrent. Samantha, 43 ans, accueille Rachel, 46 ans (leurs prénoms et ceux de leurs filles ont été modifiés pour les protéger), dans son jardin, en Occitanie. Elles se saluent en se faisant trois bises. Samantha sert des cafés, les deux femmes papotent un instant de tout et de rien. Mais elles ne peuvent éviter bien longtemps d’aborder le sujet qui les réunit : leurs filles. Délia, celle de Samantha, a 17 ans ; Victoire, celle de Rachel, 14 ans. La première dort dans la pièce à côté. La seconde est introuvable depuis six mois. Toutes les deux ont été enrôlées dans des réseaux de proxénétisme alors qu’elles n’étaient encore que de jeunes adolescentes et n’en sont sorties qu’épisodiquement au cours des dernières années. A peine assises, Samantha et Rachel le disent toutes les deux : « Ça fait du bien de parler à quelqu’un qui comprend. »

Face à ce type de situation, les parents, comme Samantha et Rachel, se retrouvent bien souvent impuissants, pétrifiés par le choc de découvrir que leur enfant est exploitée sexuellement, honteux de n’avoir rien vu, et ne sachant vers qui se tourner. Ce sont souvent les mères qui mènent alors le combat : d’abord sauver leur fille, puis la soigner, la comprendre, la réparer. Les associations estiment le nombre de mineurs exploités sexuellement à environ dix mille, dont la grande majorité sont des filles, et supposent que ce chiffre est encore en dessous de la réalité.

Leur nombre a augmenté de 70 % entre 2015 et 2020, selon le rapport d’un groupe de travail composé d’associations, de médecins et de policiers, rendu en 2021 à Adrien Taquet, alors secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles.

Le phénomène a été favorisé par les réseaux sociaux et aujourd’hui, la plupart des passes, appelées des « plans », sont proposées sur Internet. Elles se déroulent dans des lieux privés, chambres d’hôtel ou appartements loués. « Le phénomène est volatil, invisibilisé. Les annonces figurent sur des sites spécialisés mais aussi sur Vinted [sous la forme, par exemple, de “Vend jeune fille robe”], Leboncoin [avec notamment des offres de massage, même si le site reste vigilant et met des garde-fous] ou le dark Web, ce qui rend le décompte encore plus compliqué. Et une seule annonce peut concerner plusieurs filles », commente Sophie Antoine, responsable juridique de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE).

« Des images que je n’aurais jamais dû voir »

C’est la sœur de Samantha, la tante de Délia, qui découvre la vérité en fouillant dans le téléphone de sa nièce, un jour de 2019. A l’époque, l’adolescente de 13 ans est placée en foyer depuis quelques mois, sur décision d’une juge des enfants, après une fugue et des violences contre sa mère. Dans l’appareil, sa tante découvre des photos et les annonces qui les accompagnent et les montre immédiatement à sa sœur. « Des images que je n’aurais jamais dû voir », soupire Samantha. Elle tente de remonter le fil des événements : « J’ai fui la violence de son père quand elle était toute petite, et on a beaucoup déménagé. C’était une enfant influençable, qui avait peu confiance en elle. Quand elle a eu 12, 13 ans, je travaillais beaucoup et je l’ai un peu laissée dans son monde, avec son téléphone. »

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