Vous êtes un spécialiste du phénomène religieux, par quel cheminement en êtes-vous venu à vous intéresser aux films d’horreur ?

Lors de mes études supérieures, j’ai suivi un cours sur la religion et l’Amérique au cours duquel nous avons vu L’Exorciste (1973), de William Friedkin (1935-2023). L’un des obstacles des études religieuses est que l’on ne peut pas « voir » les croyances, alors qu’il y a quelque chose de très significatif dans la façon dont les gens réagissent à un film d’horreur : quelqu’un peut dire que les démons sont une superstition, mais s’il est incapable de regarder des films comme L’Exorciste, c’est qu’une partie de lui au fond pense que les démons sont plus que cela. Les films d’horreur sont des artefacts culturels permettant de jauger la sensibilité du public au surnaturel.

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés Pour ses 100 ans, la Warner ressort « L’Exorciste », sommet indépassable de l’épouvante moderne

Dans le livre que vous avez cosigné avec Eric Harrelson, The Exorcist Effect (Oxford University Press, 2023, non traduit), vous parlez de la « sainte trinité » des films d’horreur. Quels sont ces films ?

Le premier des trois, c’est Rosemary’s Baby, de Roman Polanski, sorti en 1968. Le deuxième, L’Exorciste de Friedkin, a été à bien des égards une réponse catholique au film de Polanski. Quant à The Omen, (La Malédiction, 1976), de Richard Donner (1930-2021), c’était une réponse protestante. Ensemble, ces trois films ont façonné la façon dont toute une génération de spectateurs s’est figuré des thématiques telles que les cultes sataniques, la possession démoniaque et les prophéties bibliques.

Quelles sont les similitudes dans le succès de ces trois films ?

Cela peut sembler étrange à formuler ainsi mais il s’agissait de films très « réalistes ». Rosemary’s Baby et L’Exorciste, en particulier, s’efforçaient de faire évoluer des personnages crédibles dans des situations surnaturelles. A l’origine, The Omen devait mettre en scène des démons à sabots de chèvre, mais ses scénaristes ont choisi de faire mourir tous les personnages par d’étranges coïncidences afin que le film paraisse plus plausible. Indéniablement, ce souci de vraisemblance a amené les gens à prendre ces films plus au sérieux.

En quoi les campagnes de promotion de ces trois films ont-elles joué un rôle crucial dans leur réception par le public ?

Le public des films d’horreur réagit très favorablement lorsqu’on lui dit qu’une histoire est « vraie » ou lorsqu’on laisse planer le doute sur la véracité des faits qui l’auraient inspiré. C’est assez typique du genre de l’horreur : il vend quasiment toujours une « histoire sur l’histoire ». A cette aune, le marketing de L’Exorciste a été très efficace et pionnier en racontant au public que le film était basé sur un « cas réel ». Il a également réussi à préparer émotionnellement son auditoire, à lui faire appréhender le fait de voir le film. C’est ainsi que de nombreuses personnes ont été victimes d’évanouissements et de vomissements en cours de séance à sa sortie. Il est amusant de noter que de tels effets de marketing s’estompent dans le temps. Lorsque je montre L’Exorciste à mes étudiants aujourd’hui, beaucoup d’entre eux s’ennuient.

Il vous reste 49.66% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version