Fémurs moyens de théropodes de petites tailles (à gauche) et géants (à droite). Les lignes colorées montrent les différences entre les zones anatomiques des deux fémurs superposés (au milieu, différences plus [rouge] ou moins [bleu] importantes).

Comment les dinosaures géants apparus successivement il y a entre cent et soixante-huit millions d’années, tels que Spinosaurus, Giganotosaurus, Carnotaurus, et bien sûr l’incontournable Tyrannosaurus rex, pouvaient-ils supporter le poids d’un éléphant sur seulement deux pattes ? La réponse tient dans leur fémur, et vient d’être apportée dans un article publié le 2 mai dans la revue Paleobiology reprenant les travaux de thèse de Romain Pintore, jeune docteur au Muséum national d’histoire naturelle à Paris.

Il y a une dizaine d’années, Roger Benson (université d’Oxford) avait montré que douze lignées de dinosaures théropodes, des carnivores bipèdes, avaient évolué de façon indépendante vers une forme de gigantisme. « Chaque grand théropode géant descendait d’un ancêtre de petite taille, dit Romain Pintore. La question était de savoir si cela s’appuyait sur les mêmes adaptations. » Le fémur, qui est l’os central pour étudier la bipédie et la locomotion, a donc concentré les efforts du jeune chercheur, pendant la pandémie de Covid-19.

« Ma thèse portait initialement sur des dinosaures moins populaires, mais avec les confinements il m’était impossible de voyager pour effectuer des mesures en trois dimensions de leurs ossements afin de les comparer », admet-il. Les bases de données numériques 3D concernant les fémurs de théropodes étant plus fournies, il a bifurqué vers ces animaux, et a bénéficié de l’aide de nombreux paléontologues à travers le monde. « Ils ont été super collaboratifs ! En Argentine, un étudiant a pris la peine de faire trois cents photos d’un fémur de 1,37 mètre de Giganotosaurus, pour que je puisse le reconstituer en photogrammétrie », raconte-t-il. Cette technique, mais aussi les fichiers numériques 3D obtenus par des appareils de scanners surfaciques plus coûteux, lui a permis de comparer 68 fémurs de 41 espèces de théropodes.

« Une évolution en mosaïque »

Cette analyse fait ressortir deux points. Le premier, c’est que les fémurs des géants sont bien sûr plus robustes, avec ces extrémités plus larges et une partie cylindrique centrale plus large que chez les espèces plus petites. « Mais l’adaptation-clé concerne une attache musculaire, centrale dans l’équilibre et la locomotion, entre la jambe et la queue, qui migre plus bas chez les spécimens les plus massifs », note Romain Pintore.

Le second point concerne les oiseaux, qui ont pour ancêtres des théropodes. T. rex, qui n’en faisait pas partie, marchait en utilisant l’intégralité de la jambe à partir de la hanche, tandis que la marche chez les oiseaux sollicite l’articulation au niveau des genoux, avec un fémur plus statique et horizontal. Les chercheurs se demandaient si ces deux facteurs potentiellement antagonistes n’avaient pas gêné l’apparition d’espèces massives chez les théropodes aviaires. « Ce n’est pas le cas, on les observe conjointement par exemple chez Utahraptor, malgré une masse d’environ 550 kilos. C’est ce qu’on appelle une évolution en mosaïque, qui a permis l’émergence de grands dinosaures bipèdes très proches des oiseaux, combinant une taille importante et une locomotion très dynamique. »

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