Ne serait-ce pas Vladimir Ilitch Lénine ? Mais oui, bien sûr. On le reconnaît immédiatement, de même que Trotski, Staline, Churchill ou Hitler, dans le dernier spectacle du Théâtre du Soleil, Ici sont les dragons, créé en novembre 2024. Et si on le reconnaît, c’est grâce à son masque. Avec cette création qui embrasse la période de la révolution russe de 1917, la troupe d’Ariane Mnouchkine a renoué avec cet objet qui traverse tout son parcours, mais qui n’était pas réapparu, sous sa forme stricte, depuis Tambours sur la digue, en 1999.

Lire la critique (2024) : Article réservé à nos abonnés « Ici sont les dragons », le grand livre d’histoire animé d’Ariane Mnouchkine

Dans son atelier niché au fond de la Cartoucherie de Vincennes (Paris 12e), Erhard Stiefel rembobine ses souvenirs, entouré des dizaines de visages qui peuplent cet antre magique. Il a 85 ans, et il travaille avec Ariane Mnouchkine depuis soixante ans. Il est le plus grand facteur de masques vivant, depuis que les Italiens Amleto Sartori (1915-1962) et son fils Donato Sartori (1939-2016) sont morts. Il a créé des masques pour Antoine Vitez, Alfredo Arias ou Arthur Nauzyciel, mais il a surtout traversé toute l’aventure du « Soleil » : le masque est au cœur du théâtre d’Ariane Mnouchkine, même s’il est loin d’avoir figuré dans tous ses spectacles.

« Le masque est notre discipline de base, car c’est une forme, et toute forme contraint à une discipline. L’acteur produit dans l’air une écriture, il écrit avec son corps, c’est un écrivain dans l’espace. Or, aucun contenu ne peut s’exprimer sans forme. Je crois que le théâtre est un va-et-vient entre ce qui existe au plus profond de nous, au plus ignoré, et sa projection, son extériorisation maximale vers le public. Le masque requiert précisément cette intériorisation et cette extériorisation maximales. Un certain type de cinéma et de télévision nous a habitués au “psychologique”, au “réalisme”, au contraire d’une forme, donc au contraire de l’art ; on dispose les acteurs dans un décor, mais le plateau ne leur appartient plus vraiment. Alors qu’avec le masque ils créent leur univers à chaque instant », a posé la directrice du Soleil, dans un entretien avec la chercheuse Odette Aslan, dans Le Masque. Du rite au théâtre (CNRS Editions, 1985).

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