Livre. De quelle espérance de vie le périphérique parisien dispose-t-il ? Alors que la capitale se projette dans l’horizon du Grand Paris, cette ceinture d’asphalte qui la comprime jusqu’à l’asphyxie apparaît de plus en plus anachronique, et sa dissolution inéluctable. Cette dynamique s’inscrit dans une histoire aux ramifications complexes dont Justinien Tribillon, chercheur en urbanisme et écrivain, démêle les fils au long d’une enquête passionnante articulant reportage de terrain et mise en perspective historique.
La Zone (B42, 184 pages, 22 euros) désigne la bande de terre jadis inconstructible qui courait le long des fortifications d’Adolphe Thiers. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, y a fleuri tout un tissu d’habitations précaires peuplé de marginaux, de pauvres et d’artistes. Les habitants de Paris intra-muros venaient à une époque y pique-niquer le week-end et s’encanailler le soir dans les cabarets. Le photographe Eugène Atget (1857-1927) a rendu hommage, dans sa série « Les Zoniers », à cet inframonde que la bonne société érigeait en repoussoir absolu, stigmatisant sa population comme une classe dangereuse. La « zone » finira intégralement rasée pour faire place à l’autoroute urbaine qui isole aujourd’hui Paris de sa banlieue.
Richement illustré, le livre de Justinien Tribillon prend la forme d’une déambulation entre les puces de Saint-Ouen, le jardin néoclassique de la Butte-du-Chapeau-Rouge, le bois de Vincennes et la porte de Champerret… Autant de points d’entrée pour cette fresque des marges qui jette des ponts entre les travaux d’Haussmann et la doctrine hygiéniste, la collaboration et la Ve République, le fait colonial et la naissance des banlieues…
Une construction sociale
Elle montre que le traitement réservé à ce territoire a toujours servi, quelles que soient les raisons avancées au fil des deux siècles couverts par l’enquête, la sécurisation des intérêts de la classe dominante. Et que celle-ci passe immanquablement par la « démarcation brutale entre le “dedans” et le “dehors”, “nous” et “eux”, Paris et l’Autre » – les caractéristiques de « l’Autre » variant selon les époques : le zonard a fait place au banlieusard, qui a lui-même fini par être remplacé par le musulman.
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