Livre. Apparu en parallèle du photojournalisme, le photomontage permet d’aller à l’essentiel, d’isoler, de révéler et de produire du sens. Faut-il s’étonner dès lors que cette technique a produit certaines des plus fameuses images politiques du XXe siècle ? En parcourant les illustrations et les contributions réunies par Max Bonhomme et Aline Théret dans Couper, coller, imprimer (Anamosa/La Contemporaine, 272 pages, 35 euros), on se rend compte de l’empreinte qu’ont laissée ces graphistes qui, coupant et collant, ont conçu de si redoutables armes de propagande.
Le livre en dresse la généalogie et fait la part belle au camp de l’émancipation et des droits civiques. On y découvre les prémices d’une lutte dont l’artiste allemand John Heartfield (1891-1968) fut pionnier, dans l’Arbeiter Illustrierte Zeitung, le journal illustré des travailleurs, du Parti communiste d’Allemagne. Pour une couverture, il découpe l’image d’un pantin, qu’il place dans les mains de l’industriel Fritz Thyssen et lui greffe le visage d’Adolf Hitler. Son travail fera date et inspirera de nombreux successeurs. Si, à la même époque, les expérimentations artistiques des dadaïstes et des surréalistes font émerger la technique, ce sont les constructivistes russes qui lui donnent ses lettres de noblesse. Pour eux, il ne s’agit plus de tourner en dérision, mais de créer un art nouveau, exaltant la révolution, par des mises en page savantes et des aplats de couleur percutants.
Dans une contribution à cet ouvrage, Michel Lefebvre (ancien collaborateur du Monde) vient rappeler que les ciseaux peuvent aussi servir à faire disparaître des opposants politiques d’un cliché et à déformer la réalité. Le fascisme, en Italie et en Espagne, a également employé le photomontage pour servir sa propagande.
Pouvoir subversif
L’ouvrage formule l’hypothèse que ces usages empreints d’autoritarisme expliquent sa disparition au cours des premières décennies d’après-guerre. Il faut attendre les années 1970 pour que, sous l’impulsion de quelques graphistes férus d’histoire et collectionneurs, la pratique revienne et renoue avec son pouvoir subversif. Citons ici le rôle de l’artiste anglais David King (1948-2019), collectionneur de 250 000 œuvres et auteur des affiches de l’Anti-Nazi League. Le style sera remis en vogue par l’explosion d’une contre-culture underground de l’autre côté de l’Atlantique, dont émergeront le travail remarquable d’Emory Douglas, « ministre de la propagande » des Black Panthers, et les essais de l’écrivain William Burroughs (1914-1997), qui théorisera le cut-up (le découpé) en littérature.
Il vous reste 23.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

