François Guillemot a le sourire amer. « Cette postérité-là, je m’en serais bien passé. » Il y a près de quarante ans, il était « Fanfan », le chanteur de Bérurier noir, groupe de punk parisien, et, sur scène, à la fin du morceau Porcherie, il scandait : « La jeunesse emmerde le Front national. » A leur tour, les spectateurs criaient leur détestation d’une formation politique qui commençait son envolée dans les isoloirs et le débat public.

François Guillemot, 60 ans, n’aurait jamais pensé que ces mots résonneraient encore des décennies plus tard. Le Rassemblement national (RN) a récolté 31,37 % des suffrages exprimés au cours des élections européennes du 9 juin. Et « la jeunesse emmerde le Front national » retentit dans les manifestations qui ont lieu depuis ­l’annonce des résultats.

Elle est reprise par des personnalités politiques comme Anne Vignot, maire EELV de Besançon (Doubs), Louis Boyard, le député La France isoumise du Val-de-Marne, ou même l’actrice Marion Cotillard sur son compte Instagram. « Vraiment, si ce slogan était devenu inutile, je serais le premier ravi », assure celui qui poursuit son engagement en musique. Son actuelle formation, No Suicide Act, sortira deux nouveaux titres en 45-tours le 28 juin avant un 33-tours annoncé pour la rentrée.

« L’émulation ne s’arrête pas »

Aujourd’hui historien spécialiste du Vietnam rattaché à l’Institut d’Asie orientale de l’ENS Lyon, François Guillemot trouve « réconfortant » que « l’émulation ne s’arrête pas » et « amusant » de voir la phrase fréquemment détournée en « la vieillesse emmerde aussi le Front national » (ainsi que d’autres variantes). Mais surtout « enthousiasmant » d’apprendre que, sur TikTok, des jeunes font vivre la chanson. « Beaucoup de jeunes femmes », souligne-t-il, qui arborent le look de leur époque, crop top et faux ongles, et dansent sur le rythme saccadé du morceau.

Certaines s’adressent directement au président du RN, Jordan Bardella, très actif sur TikTok avec 1,5 million d’abonnés. « C’est ­formidable. On nous dit que le FN, devenu RN, est cool, moderne, qu’il n’est plus raciste. En allant sur ses plates-bandes, ces jeunes font contrechamp, occupent le terrain avec les outils d’aujourd’hui. » Tout en s’appropriant cette phrase quadragénaire.

« Aucune autre formule contre l’extrême droite n’a ainsi ­traversé les décennies », assure Christian Delporte, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Versailles. En 2002, après le 21 avril, elle vibrait déjà dans les manifestations. Deux ans plus tard, la chanteuse Diam’s la reprenait à la première personne dans la chanson Marine : « J’emmerde, j’emmerde qui ? Le Front national. » Le musicien électro Laurent Garnier a coutume de l’insérer dans ses mixes. Le slogan aurait, selon Christian Delporte, spécialiste du langage politique, « une vraie sonorité, une dimension mélodique et un contenu très direct ».

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