Les auteurs du livre collectif Face à l’obscurantisme woke (à paraître aux Presses universitaires de France, le 30 avril) se mobilisent dès à présent : dans Le Monde du 10 avril, ils et elles se plaignent de voir leur critique confondue avec le poutinisme et/ou le trumpisme et affirment fièrement défendre la raison, rechercher la vérité et prôner la liberté intellectuelle. Qui pourrait bien s’opposer à ces nobles idéaux – que nous partageons pleinement ? Mais le malheur est qu’on ne défend pas la liberté intellectuelle en brandissant des leurres comme le « wokisme », terme confus qui ne sert qu’à disqualifier sans examen rationnel la lutte contre le racisme et le masculinisme.
Entendons-nous bien : nul ne nie l’existence de pathologies militantes et sectaires, refusant l’éthique de la discussion et ostracisant des interlocuteurs. Mais celles-ci, qui doivent être condamnées, sont observables dans tout le spectre politique, et non seulement chez celles et ceux qui sont impatients d’en finir avec les discriminations. Car tel est bien le noyau définitionnel de « woke » : l’hostilité aux discriminations.
Il arrive que les moyens proposés pour les combattre soient absurdes : il est tout à fait inacceptable de mettre en cause les libertés d’expression, de création ou de programmation. Mais ces dérives n’engagent pas plus le refus des discriminations que le libéralisme n’a été engagé par le soutien à Mussolini d’un économiste libéral comme Ludwig von Mises, ou que la Terreur de 1793 n’a discrédité à jamais le rationalisme des Lumières. Des contre-révolutionnaires comme Edmond Burke et Joseph de Maistre n’ont-ils pas dénoncé les Lumières, avant la lettre, comme un déconstructionnisme radical qui était par essence terroriste ?
Mépris du réel
C’est un fait que la plupart des lieux de diffusion médiatique de l’antiwokisme ont aussi été des lieux de diffusion de la complaisance à l’égard de Vladimir Poutine. Un des signataires de la tribune dans Le Monde a mené ses campagnes antiwoke dans des revues – celles de Michel Onfray et de la nouvelle droite – qui promeuvent activement la pire propagande poutinienne.
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