Livre. Le 13 novembre 2023, au lendemain de la grande marche contre l’antisémitisme organisée dans plusieurs villes de France, le chef de l’Etat a réuni les représentants français des cultes à l’Elysée. Il leur a communiqué son inquiétude face à la guerre au Proche-Orient et son importation en France, les invitant à « mener des actions éducatives » à destination des jeunes, avant d’appeler chacun à faire preuve d’empathie. Deux mois plus tôt, Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale, avait annoncé l’instauration de cours d’empathie dans 1 000 écoles, pour venir à bout du harcèlement scolaire.

A l’ère des droits humains et du droit international, l’empathie est censée constituer le fondement des valeurs morales d’un Etat. Elle est présentée, avec des niveaux variables, comme innée chez tout être humain « en bonne santé ». Elle serait au cœur de l’organisation sociale, nous permettant de concilier nos besoins égoïstes et nos obligations sociales, et de faire des ponts entre des sujets, des cultures et des sociétés.

Tel est le bilan que dresse la docteure en neurosciences Samah Karaki dans son ouvrage L’empathie est politique. Comment les normes sociales façonnent la biologie des sentiments (JC Lattès, 300 pages, 20,90 euros) avant d’en questionner le bien-fondé. L’empathie est-elle vraiment un socle moral convaincant ? Un remède efficace à nombre de nos maux sociaux (intolérance, discriminations…) ? Non, tant s’en faut, répond la chercheuse : « Tout au long de ce livre, je démontrerai que l’empathie est intrinsèquement biaisée, peu fiable, et inadaptée comme boussole morale. »

Une partialité construite

Et pour cause : l’empathie est sélective. Les humains réservent leur empathie à ceux qui leur sont proches et marginalisent les personnes plus lointaines. Pire, ceux qui sont les plus enclins à agir avec empathie envers leur groupe d’appartenance sont aussi les plus disposés à être indifférents au sort de leurs adversaires.

Cette partialité n’est pas liée qu’à une proximité géographique ou culturelle ; elle est construite politiquement. Les cadres médiatiques, littéraires, cinématographiques et autres formes de normes discursives, culturelles et institutionnelles conditionnent leur audience à un choix moral sur ce qui mérite leur attention et leur empathie.

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« Le pouvoir et les normes produisent une opposition claire entre deux types de vies : celles qui doivent être protégées et pleurées, et celles qui sont à peine considérées comme des vies et dont la mort n’est pas appréhendée comme une perte », développe Samah Karaki.

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