L’école ne prend-elle pas aujourd’hui trop de place dans la société ? La question a de quoi choquer, alors que le système éducatif traverse une crise profonde et peine à tenir ses promesses d’égalité. Cette interrogation est pourtant au centre de L’Emprise scolaire (Presses de Sciences Po), un livre écrit par les sociologues François Dubet et Marie Duru-Bellat et publié en cette rentrée.
Avec cet essai documenté et sous-titré Quand trop d’école tue l’éducation, les deux chercheurs, reconnus pour leurs analyses des politiques éducatives, changent de perspective. François Dubet et Marie Duru-Bellat prennent du champ pour étudier le poids grandissant de l’école dans les trajectoires de vie et les équilibres sociaux depuis le début de la massification scolaire, dans les années 1950. Une école à qui on ne demande aujourd’hui rien de moins que de « déterminer la valeur des individus », selon eux.
Au départ, quelques statistiques : au cours des cinq dernières décennies, le taux de bacheliers a été multiplié par quatre. Le nombre d’étudiants a, lui, presque doublé depuis 2000, au point qu’« être étudiant est devenu la façon normale de vivre sa jeunesse », remarquent les auteurs.
S’ils ne nient pas les apports de cette démocratisation, même s’ils questionnent l’élévation réelle du niveau des connaissances et des compétences, François Dubet et Marie Duru-Bellat se demandent si nous ne sommes pas arrivés « à la fin d’un cycle ». L’allongement continu des études et la primauté des savoirs académiques sont-ils encore souhaitables ? Non, répondent les deux sociologues. Car le « toujours plus d’école se retourne aujourd’hui contre l’école, contre les élèves et contre bien des dimensions de la vie sociale ».
Comment arrivent-ils à ce constat ? En cinquante ans, les hiérarchies professionnelles se sont en grande partie calquées sur les hiérarchies scolaires, expliquent-ils. La réussite scolaire est devenue « une obligation sociale, voire un devoir moral ». En un mot : un impératif. Et cette nécessité pèse sur les parents, car « quand tout se joue à l’école, tous les sacrifices s’imposent ». Ainsi, dans les familles aisées qui rivalisent en jeux éducatifs, séjours linguistiques et autres aides aux devoirs, « le mode d’éducation s’apparente à du coaching sportif », taclent les deux auteurs.
« Course sans fin »
Mais, plus le nombre de diplômés augmente dans la population, plus la concurrence se durcit et plus les stratégies des plus favorisés et des plus informés se complexifient pour décrocher le diplôme le plus rentable socialement et économiquement. « Laisser les études se prolonger au fil de l’eau donne l’impression aux moins avantagés qu’on démocratise tout en laissant aux plus avantagés la possibilité d’aller encore plus loin et de garder leur avantage », pointent les sociologues.
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