Discrète, Isabelle Bernard n’avait pas eu envie de « [se] livrer » jusqu’à présent. L’épouse de Dominique Bernard, professeur de lettres assassiné devant son lycée par un terroriste djihadiste, le 13 octobre 2023, à Arras, préfère toujours ne pas se montrer, mais la professeure d’anglais a néanmoins décidé, un an après l’attentat, de se confier au Monde pour évoquer les « valeurs » qu’elle partageait avec son mari : « Le respect de l’autre et de l’environnement, mais aussi la liberté de penser, l’esprit critique, la tolérance, le savoir et l’émancipation par la culture. »

Comment vous sentez-vous un an après le drame ?

Je ne suis pas quelqu’un qui s’est effondré et je ne veux pas m’effondrer. Je suis portée par l’action, j’ai besoin d’avancer en menant des projets. Le soutien massif et général que j’ai reçu de mes proches, de mon administration, de la mairie ainsi que d’anonymes, m’a beaucoup aidée. Plusieurs centaines de lettres m’ont été envoyées. J’ai ce devoir de répondre à ces gens qui ont souffert aussi.

La mort de Dominique a provoqué un vide et un poids. Je vis, avec ce vide de Dominique, un vide plein de souvenirs heureux, plein d’échanges très riches entre nous. Mais je ressens aussi cette charge dont je me sens investie, une charge qui n’est pas un fardeau, mais qui vient du fait que Dominique n’est pas mort d’un accident ou d’une maladie, mais d’un attentat terroriste. Il a été assassiné parce qu’il était enseignant et qu’il incarnait la République. Son assassin, Mohammed Mogouchkov, a d’ailleurs dit tout le mal qu’il pensait de la France. J’ai besoin d’être là pour défendre et transmettre les valeurs humanistes de Dominique.

Quelles sont ces valeurs ?

Dominique prônait le respect de l’autre et de l’environnement, mais aussi la liberté de penser, l’esprit critique, la tolérance, le savoir et l’émancipation par la culture. Aujourd’hui, le mot « liberté » a pris pour moi une autre couleur. L’égalité, la fraternité, la laïcité aussi.

Dominique Bernard était issu d’une famille d’enseignants. Pourquoi avait-il choisi ce métier ? Que représentait-il pour lui ?

Rien n’était plus important que les livres, l’écriture, la langue. Pour Dominique, maîtriser la langue, c’était maîtriser la pensée et donc se construire, devenir un individu libre. Il avait à cœur d’aider les élèves à se construire, de leur donner le goût de lire. Dans sa pratique pédagogique, il aimait passer par l’oral. Il avait par ailleurs beaucoup d’humour et aimait taquiner ses élèves. Dans sa classe, grâce à son ouïe très développée, il comprenait les élèves qui chuchotaient au fond de la classe et il intégrait parfois ces bouts de conversation volés à ses cours.

Il vous reste 69.24% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version