Un ancien chef de l’Etat promis à l’incarcération : la nouvelle a choqué. La perspective de voir l’ancien détenteur du pouvoir suprême privé de toute liberté est perçue comme extraordinaire. A quel imaginaire du pouvoir cet événement renvoie-t-il ? Dans les cours d’introduction au droit et à la science politique, on enseigne Montesquieu et la séparation des pouvoirs ; dans ceux d’histoire surgit au détour d’un cours sur le Moyen Age la théorie des « deux corps du roi » d’Ernst Kantorowicz ; dans ceux d’anthropologie, on parle parfois encore de la figure du « roi sacré », dont James George Frazer fut l’initiateur.

On pourrait dès lors presque dérouler un schéma évolutionniste qui lie ces trois modalités du pouvoir. Le roi sacré est celui dont la personne incarne la souveraineté de sa tribu ; il régule ses relations extérieures par l’usage de la force ou de la ruse, de la négociation également, mais en dehors de toutes règles préétablies, et dispose d’un pouvoir de vie et de mort sur ses sujets. Sa sexualité ne connaît pas d’entrave. Toutefois, dès que sa force physique montre les premiers signes de déclin, il est rituellement mis à mort pour être remplacé par un successeur – héréditaire ou non – plus jeune et plus vigoureux.

Le double corps du roi rompt en partie avec ce modèle en ce que la personne physique du souverain, son corps réel, se glisse dans un corps symbolique plus vaste que lui. Il incarne le souverain le temps de sa propre existence et ce, sauf accident, jusqu’à sa mort naturelle. Lors de ses funérailles, son corps est transporté du Louvre jusqu’à la nécropole royale de Saint-Denis dans un catafalque mobile, à deux étages : au niveau inférieur est étendu son cadavre, tandis qu’au-dessus trône son effigie de cire, qui exhibe les attributs de sa fonction. Il s’agit d’affirmer la pérennité métabiologique de l’institution royale. Mais cette fiction a un prix : le corps intime doit se faire discret, il doit s’effacer derrière le corps symbolique.

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