A La Réunion, « beaucoup de professions éprouvent un sentiment de déclassement »

Parce qu’il doit se rendre au cimetière sur la tombe de ses parents puis préparer le déjeuner dominical, Serge Pajaniandy, 59 ans, s’est rendu dès l’ouverture dans son bureau de vote de l’école Françoise-Mollard, à Saint-Denis, dans le quartier populaire des Camélias. A La Réunion, en raison du décalage horaire, le vote a débuté à 6 heures, heure de Paris. Cet agent de nettoyage en contrat PEC (parcours emploi compétence) sait que la participation sera élevée et ne veut pas attendre.

« Il faut du changement et mettre de l’ordre », annonce-t-il, déterminé, quand on l’interroge sur le sens de son choix. Le Dionysien a voté pour « Bardella » plus que pour le candidat local du RN, Jean-Jacques Morel, qui s’était présenté aux dernières législatives dans cette circonscription sous l’étiquette divers droite. Serge Pajaniandy avait « cru » en Emmanuel Macron en 2017. « Il a beaucoup promis mais n’a rien changé », assure-t-il. Le quinquagénaire en veut aussi aux élus qui pratiquent le « manger cochon », expression signifiant le changement d’étiquettes politiques et d’alliance. Sa colère est également alimentée par les questions migratoires. « Des migrants sri-lankais arrivent ici par bateau et gagnent 1 000 euros par mois. Des créoles n’ont pas ça », dénonce-t-il. Il cite également les familles mahoraises qui s’installent « pour faire des enfants et gagner des aides sociales » plus avantageuses que sur leur île, 101e département français. « Dans ce quartier, des familles vivent avec un revenu de 500 à 800 euros par mois, déplore-t-il sur la grande esplanade devant l’école. Et tous les produits augmentent. La petite boîte de “grains’’ [haricot] est passée de 1,30 à 2,60 euros » .

Magalie Billard, 55 ans, fonctionnaire, devant l’école Françoise-Mollard, quartier des Camélias à Saint-Denis (La Réunion).

Fonctionnaire des finances publiques, Magalie Billard dit « bien ressentir par [s]on métier les grosses difficultés de certaines familles et les inégalités flagrantes ». « Il y a un sentiment que tout est pour les autres que soi, observe cette quinquagénaire sous les grands manguiers de la cour de récréation. Beaucoup de professions éprouvent un sentiment de déclassement. Le Covid a fait beaucoup de mal. Il existe une grande défiance envers les corps intermédiaires et les élites. » Cette Dionysienne a voté « contre l’extrême droite ». « Ce parti exploite la peur et recherche des boucs émissaires, estime-t-elle. Je trouve ça lâche. »

Jérôme Talpin (Saint-Denis (La Réunion), correspondant)

Partager
Exit mobile version