La paléontologie est parfois furtive. Dans les collines qui entourent le village de Cabrières (Hérault), Sylvie et Eric Monceret, âgés de 56 ans, donnent du marteau de géologue sur la roche schisteuse, en toute discrétion, en ce mois de juin venteux. Leurs coups précautionneux en séparent les feuillets pour faire émerger de petits fossiles, comme s’ils jaillissaient « des pages d’un livre », s’émerveillent-ils. Des décennies de pratique n’ont pas émoussé leur excitation quasi enfantine face à ce que pourrait bien receler le moindre des nodules gréseux, ces cadeaux géologiques ovoïdes venus du fond des âges, qui parfois abritent une créature pétrifiée – trilobite, gastéropode, graptolite, orthocère et autres conulaires.

S’ils sont si prudents au moment de nous accompagner jusqu’à un gisement perdu dans la garrigue, en bordure d’un chemin communal, c’est qu’ils ont mis la main sur un « nid » de fossiles assez unique en son genre. C’était en 2018, mais le site n’a été décrit qu’au début 2024 dans la revue Nature Ecology & Evolution, le temps de caractériser la flore et la faune de cette capsule temporelle vieille de 480 millions d’années. Par crainte des pilleurs, le secret continue d’être bien gardé sur la localisation des précieux affleurements.

La découverte est en effet d’importance. Le site ne rivalise sans doute pas avec les fameux schistes de Burgess, dans les rocheuses canadiennes (505 millions d’années), qui ont livré, depuis plus d’un siècle, des dizaines d’espèces aussi primitives qu’exotiques. Mais il va figurer en bonne place parmi les Konservat-Lagerstätten (« gisements à conservation exceptionnelle »), la dénomination allemande qui désigne les dépôts de fossiles dont les tissus mous sont préservés, atteste Bertrand Lefebvre (CNRS, laboratoire de géologie de Lyon). Le paléontologue professionnel, avec lequel le couple collabore, et qui a dirigé l’étude de ces nouveaux fossiles, s’exclame : « Pour nous, c’est une mine d’or, on peut espérer décrire cent vingt à cent cinquante espèces ! »

Sylvie et Eric Monceret font partie de cette confrérie informelle des paléontologues amateurs, autodidactes insatiables qui arpentent bords de chemins, falaises et sous-bois à la recherche du moindre indice. Ils sont des centaines, « peut-être des milliers », avance Eric Buffetaut, chercheur émérite au CNRS et membre du laboratoire de géologie de l’Ecole normale supérieure. Il serait prêt à en dresser une typologie, des plus vertueux aux moins fréquentables. Les pilleurs mis à part – « cela existe, hélas ! » –, pour lui, l’opposition avec les professionnels est « un peu artificielle ». « La paléontologie est en voie d’extinction, constate-t-il. Les amateurs exercent une veille que nous ne pouvons pas faire. » Si les scientifiques sont parfois moins possessifs avec leurs fossiles, il juge que la motivation première est souvent la même – à chercher du côté de l’enfance et d’une forme d’émerveillement face à la profondeur du temps.

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