- Un large panache de fumées provoquées par les incendies en cours au Canada a touché la France ces derniers jours.
- Sous l’effet du changement climatique, la multiplication des incendies extrêmes nourrit le risque que la France soit exposée à ces fumées venues de l’étranger.
- Mais difficile de savoir si elles seront acheminées plus facilement qu’auparavant.
- Ces phénomènes posent aussi des questions en termes de qualité de l’air.
Suivez la couverture complète
Notre planète
En une seule journée, ce sont 14 nouveaux départs de feu qui ont été enregistrés lundi 9 juin. Plus de 220 incendies de forêt ravagent actuellement plusieurs provinces du Canada, et continuent de progresser (nouvelle fenêtre). Le phénomène est tellement massif que les fumées se sont déplacées vers la France ce week-end, après un premier épisode fin mai. Les panaches continuaient encore de stagner sur le quart sud-est du pays ce mardi matin, participant à une dégradation de la qualité de l’air dans la zone. Depuis certaines stations alpines, on observe ainsi un voile laiteux s’étirer entre les montagnes.
La webcam de la Plagne, située à 3000m, confirme la présence du panache sous cette altitude ce matin. pic.twitter.com/O4CAdVFAm7 — Météo-France Sud-Est (@MeteoFrance_SE) June 10, 2025
Ces particules ont « voyagé »
vers la France « en lien avec les conditions anticyloniques »
, explique Météo-France sur son compte X (nouvelle fenêtre) dédié au sud-est. Une trajectoire à découvrir en image sur la capture satellite de Météo-France en tête d’article, immortalisée ce mardi matin, sur la modélisation ci-dessous.
Dès dimanche, ces fumées ont survolé la France, en restant « à environ 5 km d’altitude »
, soit environ au milieu de de la troposphère, qui s’étire sur 10 km d’altitude, explique Augustin Colette, spécialiste en modélisation atmosphérique à l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques). « Depuis lundi après-midi, ces poussières descendent graduellement et vont avoir un effet sur l’air qu’on respire »
, pointe l’expert, nommé auteur pour les prochains travaux du Giec.
Un épisode symptomatique de l’ampleur vertigineuse que prennent les incendies à l’heure actuelle, produisant des fumées « plus volumineuses, plus massives »
: « on voit bien que même si le Canada nous semble très loin, on a sur deux ou trois jours tout un faisceau d’observations qui nous permettent de caractériser
un effet aujourd’hui sur la France
(nouvelle fenêtre)«
, pointe le spécialiste.
Des incendies de plus en plus massifs et fréquents
Le risque de voir ces panaches imposants se multiplier va en grandissant, sous l’effet du changement climatique, qui augmente la fréquence et l’intensité des incendies. En 2023 et 2024, la probabilité des départs de feu avait été multipliée par trois au Canada (nouvelle fenêtre), tandis que la proportion de surface brûlée a augmenté de 40%. « Les premiers chiffres pour 2025 indique que l’on serait déjà proche de la pire année, qu’était 2023 »
, alerte l’expert de l’Ineris.
« La multiplication des incendies extrêmes sous l’effet du changement climatique laisse anticiper une recrudescence des panaches de fumée atteignant la France, y compris depuis des régions éloignées comme le Canada ou la Grèce »
, abonde Davide Faranda, directeur de recherche au CNRS. En cause notamment, « l’intensification des
mégafeux et la prolongation des saisons à risque »
, si bien que « les panaches pourraient gagner en épaisseur »
, selon l’expert.
Et la France pourrait être particulièrement vulnérable face à ces nuages chargés et étendus : « c’est un pays qui se situe sur la bordure atlantique de l’Europe, elle est en pole position pour recevoir des panaches de fumés émis outre-Atlantique »
, relève la climatologue Françoise Vimeux, membre de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Mais pas uniquement : « elle peut aussi être affectée par des panaches de fumée provenant d’Europe de l’Est si la direction et l’intensité de vent y sont favorables »
, poursuit la spécialiste. Parmi nos voisins européens, la Grèce est régulièrement frappée par des mégafeux (nouvelle fenêtre).
À cela s’ajoute l’effet du changement climatique sur le transport de ces panaches dans l’atmosphère au-dessus de l’Atlantique. « Le réchauffement climatique
dynamise les vents qui vont d’ouest en est, des États-Unis vers l’Europe, et aussi rend les cyclones et anticyclones plus stables »
, avance Cathy Clerbaux, directrice de recherche au CNRS. Difficile toutefois de savoir si ces évolutions peuvent augmenter le risque de voir ces panaches dériver vers notre pays spécifiquement. « L’effet du changement climatique est plutôt visible sur la quantité totale de particules émises plutôt que sur les routes de transport atmosphérique : les feux et la surface brûlée augmentent de façon très nette, mais le parcours de ces fumées vers la France reste délicat à prévoir »
, résume Augustin Colette.
Certains scientifiques travaillent néanmoins sur cette hypothèse : lors des feux canadiens de ce début d’année, « une configuration inédite de pression atmosphérique a canalisé les fumées vers l’Europe »
, relève Davide Faranda. Ces « anomalies »
seraient « potentiellement liées au réchauffement »,
et à l’avenir, elles « pourraient devenir récurrentes, facilitant le transport transcontinental des polluants »
, insiste le climatologue.
Quelle incidence concrète sur la santé ?
Mais une fois dans notre ciel, quels sont les effets concrets de ces polluants ? De manière générale, les panaches transportés sur de longues distances le sont dans l’atmosphère haute, jusqu’à une dizaine de kilomètres de hauteur, sans incidence sur la santé. C’était le cas fin mai, lors d’un précédent survol des fumées venues du Canada au nord-ouest de l’Europe. Mais lors de l’épisode actuel, l’observatoire de la qualité de l’air Atmo-Sud a signalé pour ce mardi un épisode de vigilance (nouvelle fenêtre) aux particules PM10, autrement dit plus fines que 10 microgrammes, dangereuses pour la santé respiratoire (nouvelle fenêtre).
Reste qu’à l’échelle nationale, ce panache a généré une pollution aux PM10 de l’ordre de 5 à 15 microgrammes par mètre cube d’après les premières analyses en cours de consolidation. « Le seuil d’information et de recommandation, fixé à 50 microgrammes en France, n’a pas encore été dépassé »
, explique Augustin Colette. Bref, « c’est une contribution notable, mais cela n’a pas généré pour l’instant d’un épisode que l’on pourrait considérer comme massif »
, insiste-t-il.
De manière générale, la distance vis-à-vis de l’évènement source semble jouer un rôle central. « La qualité de l’air est très impactée localement, dans les environs. Mais à des milliers de kilomètres plus loin, ce n’est plus vraiment un problème : il ne reste plus trop de particules et elles sont en altitude »
, explique Cathy Clerbaux, qui « ne pense pas qu’au total, le risque augmente sur la santé »
. En revanche, si les incendies sont très proches (nouvelle fenêtre), « les particules qui arrivent se situent dans les basses couches de l’atmosphère et l’inhalation de ces particules fines peut avoir un impact sur notre santé »
, met en garde Françoise Vimeux.
La situation est d’autant plus suivie de près que les incendies ne sont pas les seules menaces pour notre qualité de l’air : après cet épisode de fumées, qui devrait encore stagner sur le sud mercredi, viendra lui succéder une vague de poussière désertiques venues du Sahara… Là encore, le changement climatique amplifie ce phénomène naturel, en rendant ces terres plus arides et donc plus susceptibles encore d’émettre des particules fines qui se déplacent jusqu’en métropole. Et même traverser l’Atlantique, jusqu’à toucher les Outre-mer.