« Ils ont vécu, de profundis/Les joyeux jurons de jadis », regrettait Georges Brassens, en 1958, dans La Ronde des jurons. Son constat reste d’actualité. La déchristianisation a aussi eu raison du blasphème, et il n’y a plus guère que les 60 ans et plus pour laisser échapper un « nom de Dieu » bien senti.

A part une tendance tenace à utiliser l’insulte à des fins laudatives, notamment dans le domaine sportif (« Le bâtard, il leur a mis une de ces accélérations ! »), c’est la continuité plutôt que le changement qui prévaut au pays des gros mots où, plus que jamais, l’on jongle entre sexe et scatologie. Si les invariants « merde » et « fait chier » conservent une forte popularité, ils ne sauraient menacer le magistère exercé depuis une cinquantaine d’années par l’inoxydable duo « pute »-« putain ».

« En français, “pute” et son corollaire “putain” semblent concentrer le mépris tout en faisant office de couteau suisse de l’exclamation. Ces deux mots sont si fréquemment utilisés, souvent même sans que le locuteur ou la locutrice s’en rende compte, qu’ils font partie du quotidien », résume Dominique Lagorgette, professeure de sciences du langage à l’université Savoie Mont-Blanc, dans son livre Pute, histoire d’un mot et d’un stigmate (La Découverte, 306 pages, 17 euros). Les deux termes viennent de putidus, qui désigne la malpropreté et a donné « putois », mais renvoie surtout à une notion de saleté morale. « Putain » est repéré dès 1120 dans un texte rédigé en français d’Angleterre pour désigner une péripatéticienne.

Une charge machiste

Même s’il est principalement devenu un « mot vide », ce terme souvent exclamatif demeure éminemment sexiste et « putophobe ». Il a donné naissance à « fils de pute ». Cette interjection qui jouit d’un remarquable rayonnement international est également connue sous l’abréviation FDP, à ne pas confondre, sur les réseaux sociaux, avec l’élégant TMLP (« ta mère la pute »).

Notre vocabulaire ordurier témoigne d’une évidente fascination pour la prostitution que suggère le recours soutenu au mot « bordel », comme interjection ou pour décrire un désordre manifeste. « Ce qui est pour le moins paradoxal lorsque l’on sait qu’il n’y a pas plus organisé et réglementé qu’une maison close », s’amuse Dominique Lagorgette. Lesté d’une charge machiste tout aussi pesante, « salope » (qui viendrait de « sale huppe », oiseau autrefois supposé répugnant) est toujours fort bien coté. On remarquera aussi qu’il est, comme « pute », susceptible de s’adresser à un homme, ce qui n’atténue en rien sa misogynie.

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