L’entrée de Marc Bloch au Panthéon est sans doute l’une des brillantes diversions dont le président de la République a le secret. Elle peut cependant nous aider à comprendre pourquoi la recherche universitaire est tant remise en cause. Historien, professeur des universités, mais aussi ancien combattant et résistant, Marc Bloch est devenu respectable. Il fut pourtant en son temps un perturbateur du savoir historique établi et un critique aigu de la société de l’entre-deux-guerres et de ses hypocrisies paresseuses.

Comme universitaire, Marc Bloch découvre en 1919 à l’université de Strasbourg (son premier poste universitaire après quelques années de lycée avant-guerre) les pratiques de recherche de l’université allemande (en avance sur la française alors), en particulier le séminaire et la confrontation systématique aux publications nouvelles comme aux innovations méthodologiques. Influencé par la sociologie et l’économie, il pense l’histoire comme une intervention intellectuelle dans le monde, non comme l’accumulation de connaissances sur le passé. Après en avoir tiré toutes les conséquences, il crée en 1929 avec Lucien Febvre une revue nouvelle, les Annales d’histoire économique et sociale, qui appelle à une rupture avec les pratiques ordinaires de l’histoire et à l’engagement d’un dialogue permanent avec les autres sciences, naturelles comme sociales, pour répondre aux questions du présent.

L’influence des Annales, prolongée après la guerre par la création de la sixième section de l’Ecole pratique des hautes études (aujourd’hui l’EHESS), n’a pas d’équivalent dans la recherche historique à l’échelle mondiale. Quand il écrit L’Etrange Défaite, au lendemain de la débâcle, Marc Bloch s’appuie sur son savoir d’historien, sur sa pratique comparatiste et sur son expérience militaire pour, par exemple, démontrer impitoyablement en quoi et pourquoi l’état-major français a été incapable intellectuellement de remettre en cause ses doctrines forgées durant la Grande Guerre.

Multiples assauts

Ces savoirs nouveaux sont souvent dérangeants, et L’Etrange Défaite ne pouvait pas être publiée sous Vichy. Aujourd’hui, les héritiers intellectuels de Marc Bloch dérangent aussi, qu’ils écrivent sur le réchauffement climatique, l’impact des pollutions sur la santé, la colonisation ou les violences de genre. Et ceux qu’ils dérangent dans leurs certitudes et dans leurs acquis ont largement les moyens de contester ou de marginaliser ces savoirs.

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