Quand Marlene Dietrich monte sur une scène de l’Exposition universelle d’Osaka, le 8 septembre 1970, et qu’elle entonne Lili Marleen dans sa robe de soie, Jōtarō Shōji est dans la foule. Il est ému, des étoiles plein les yeux devant son premier music-hall, lui, le gamin d’un milieu pauvre monté à la grande ville. Pourtant, ce jour-là, ce n’est pas seulement Marlene Dietrich qu’il vient voir : « J’avais travaillé sur le chantier de l’Exposition, sur le pavillon tchèque. Il était en retard et on avait pris de gros risques pour le boucler à temps. Des amis y ont perdu la vie. » Jōtarō Shōji est aussi là pour dire adieu à ses compagnons.
Après le concert, il rejoint l’envers du décor, Kamagasaki, le ghetto crasseux de l’arrondissement de Nishinari, où vivent ses semblables, les bâtisseurs de l’Exposition, 25 000 jeunes ouvriers entassés dans des dortoirs mal famés. Là, il se glisse dans une boîte de 50 centimètres sur 170 centimètres. Sa chambre, comme un cercueil. Et, Lili Marleen en tête, il pense aux camarades disparus sur le chantier. « Comme ils n’avaient ni fric ni assurance, raconte aujourd’hui le septuagénaire, on s’était cotisés pour leur payer des urnes funéraires. »
Glamour et futuriste, l’Exposition universelle d’Osaka, qui s’est tenue du 15 mars au 13 septembre 1970, est restée une grande fierté pour le Japon, qui a alors offert au monde un visage moderne et optimiste. Mais, à trente kilomètres au sud du site, Kamagasaki, le grand marché de la main-d’œuvre journalière, est resté un tabou, le hors-champ de cet événement.
Cinquante-cinq ans plus tard, ce 13 avril, l’Exposition 2025 s’est ouverte dans la même ville, sur une île artificielle baptisée Yumeshima (« l’île de rêve »). Et Kamagasaki est toujours là, accroché au flanc sud d’Osaka, l’une des villes les plus riches de l’Archipel.
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