Valse des gouvernements, blocage à l’Assemblée nationale, effritement des alliances au sein des groupes politiques… La France traverse une crise politique difficile à suivre, qui suscite un large ras-le-bol au sein de la société. Vous avez perdu le fil ? Les Décodeurs vous aident à comprendre comment nous en sommes arrivés là.
D’où vient cette instabilité politique ?
Pour comprendre cette crise, il faut remonter aux élections législatives de juin 2022. Quelques semaines après sa victoire relativement étriquée contre Marine Le Pen à la présidentielle, Emmanuel Macron échoue à obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Sa première ministre Elisabeth Borne doit donc gouverner avec le soutien de seulement 43 % des députés, ce qui l’oblige à chercher des alliances au cas par cas pour faire passer des textes de loi. Cette situation la place aussi à la merci des oppositions qui, si elles se rejoignent en votant la même motion de censure, peuvent faire chuter son gouvernement. Cette absence de majorité claire, qui est loin d’être une exception parmi nos voisins européens, engendre des blocages forts en France, faute de culture du compromis.
Le deuxième tournant arrive après la large défaite de la liste macroniste aux élections européennes de juin 2024. Estimant qu’il doit réagir pour relancer son quinquennat, Emmanuel Macron dissout l’Assemblée nationale. Les élections législatives anticipées organisées dans la foulée se soldent par une courte victoire de l’union de la gauche (le Nouveau Front populaire), le renforcement du RN et un nouvel affaiblissement du camp présidentiel. L’Assemblée est plus divisée que jamais, composée de trois grands blocs minoritaires, eux-mêmes composés de divers groupes politiques pas toujours alignés. Ce qui accentue la difficulté à trouver un gouvernement stable soutenu par les députés.
Pourquoi François Bayrou a-t-il été censuré ?
Après l’échec de Michel Barnier, renversé au bout de trois mois, François Bayrou est nommé premier ministre fin 2024. D’emblée, il insiste sur la gravité de la situation financière du pays, comparée à « un Himalaya ». Pour réduire le déficit, qui a largement dérapé ces dernières années, il propose le 15 juillet 2025 un plan d’économies ambitieux de 44 milliards d’euros pour le budget 2026, qui prévoit notamment de supprimer deux jours fériés. Ces orientations, et le peu de concertations qui s’ensuivent, suscitent de vives critiques des oppositions et des syndicats.
Fragilisé, sur fond d’appels citoyens à bloquer le pays le 10 septembre, François Bayrou sait qu’il risque d’être renversé par une motion de censure à l’automne. Il prend donc les devants en sollicitant un vote de confiance des députés qu’il tente de transformer en scrutin pour ou contre la réduction de la dette. Le 8 septembre, 364 députés votent contre la confiance et il est contraint de démissionner.
Pourquoi Sébastien Lecornu est-il parti, puis revenu ?
Pour remplacer François Bayrou, Emmanuel Macron choisit le 9 septembre Sébastien Lecornu : issu de la droite, cet élu de l’Eure est devenu l’un de ses fidèles en participant à tous les gouvernements depuis juin 2017.
Après 26 jours de réflexion, le premier ministre dévoile son gouvernement le 5 octobre. Sa composition suscite immédiatement des critiques de toutes parts, notamment parce qu’il est jugé beaucoup trop macroniste et donc indifférent à l’égard de l’état des forces parlementaires. Même Bruno Retailleau, pourtant nommé ministre de l’intérieur, estime que ce gouvernement ne reflète pas « la rupture promise », et fait planer l’idée d’un départ de son parti Les Républicains (LR, droite). Quelques heures plus tard, Sébastien Lecornu démissionne en estimant que « les conditions n’étaient plus réunies » pour exercer ses fonctions.
A la demande d’Emmanuel Macron, il s’engage tout de même à entamer des nouvelles tractations avec les principales forces politiques – hors La France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN), qui débouchent sur… une seconde nomination de Sébastien Lecornu comme premier ministre le 10 octobre.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Le nouveau gouvernement Lecornu, dévoilé le 12 octobre, mélange des ministres déjà en poste et des nouveaux visages, mais s’appuie sur les mêmes partis politiques : le parti présidentiel Renaissance, ses alliés du « bloc central » (Horizons, Modem), le parti de droite LR et la formation de centre-droit UDI. Ce « socle commun » déjà minoritaire (211 députés sur 577, soit 37 %) semble aujourd’hui plus fragile que jamais : la droite LR se déchire sur la participation au gouvernement, tandis que certains partis, comme Horizons, menacent de claquer la porte si les orientations du premier ministre penchent trop à gauche.
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Or, pour éviter d’être censuré par les députés, Sébastien Lecornu a l’obligation de négocier un pacte de non-agression avec les socialistes, qui réclament plusieurs concessions incompatibles avec les demandes des autres partis du « socle commun ». Sinon, c’est mathématique : il sera renversé à son tour.
Sur quels sujets les blocages persistent-ils ?
On peut identifier trois sujets principaux qui clivent aujourd’hui les partis politiques :
- Les comptes publics : les avis divergent sur l’ampleur de l’effort budgétaire à consentir en 2026, mais aussi sur les moyens d’y parvenir (baisse des dépenses ou hausse de la fiscalité, mise à contribution des plus fortunés, des retraités, etc.). Tout le monde va donc scruter le projet de budget 2026 proposé par Sébastien Lecornu.
- Sur la réforme des retraites : le report progressif de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans avait été adopté en 2023 sans vote des députés grâce à l’article 49.3 déclenché par la première ministre Elisabeth Borne, malgré l’opposition d’une large majorité de la population. Depuis, la gauche et le RN demandent son abrogation, ou a minima sa suspension jusqu’à la prochaine élection présidentielle en 2027. Les socialistes en font même une condition pour ne pas censurer le gouvernement Lecornu.
- Sur le recours à l’article 49 alinéa 3 : cette « arme constitutionnelle », largement utilisée par les premiers ministres d’Emmanuel Macron (26 fois depuis 2022), est critiquée par les oppositions comme une méthode de gouvernement anti-démocratique. A l’approche des discussions sur le bugdet 2026, Sébastien Lecornu s’est engagé à y renoncer pour favoriser le débat parlementaire.
Ces désaccords de fond, normaux dans une démocratie, prennent aujourd’hui une place prépondérante dans le débat, car de nombreux partis en font des lignes rouges non négociables. D’autant qu’aux convictions profondes se mêlent des enjeux tactiques pour les partis et personnalités politiques qui se projettent sur les futures échéances électorales, et ne voudraient pas être accusés de compromission.
Qui veut quoi pour sortir de la crise politique ?
Trois scénarios principaux semblent aujourd’hui sur la table :
- Sébastien Lecornu échappe à la censure et réussit à se maintenir, au moins le temps de faire voter un budget ;
- Sébastien Lecornu est censuré, et Emmanuel Macron convoque de nouvelles élections législatives en dissolvant l’Assemblée ;
- Emmanuel Macron quitte l’Elysée de façon prématurée, en démissionnant ou en étant destitué par l’Assemblée, et une élection présidentielle anticipée est organisée.
Voici ce qu’en pensent les différents partis :