• Qui aurait pu prédire que 40 ans jour pour jour après l’appel de Coluche pour les plus démunis, les Restos du Cœur accueilleraient plus d’1 million de bénéficiaires ?
  • Alors que la 41e campagne de distribution alimentaire va démarrer mi-novembre, Patrice Douret, président bénévole en fin de mandat, dresse un bilan.
  • Et son constat n’est guère optimiste.

Lorsque le 26 septembre 1985, Coluche s’émeut du sort des « gens qui ne mangent pas à leur faim », aurait-il pu s’imaginer que « sa petite idée » de cantines gratuites pour les plus démunis existerait encore 40 ans plus tard ? C’est pourtant la triste réalité. Les Restos du cœur lanceront mi-novembre leur 41ᵉ campagne de distribution alimentaire. À leur tête depuis cinq ans, Patrice Douret arrive au bout de son mandat de président bénévole et passera la main lors de la prochaine assemblée générale à la fin du mois d’octobre. Il a accepté de dresser un bilan alors que les Restos du Cœur, qui assurent 35% de l’aide alimentaire en France, sont passés par une phase délicate financièrement. 

Submergé par l’afflux de personnes démunies, votre appel à l’aide lancé il y a deux ans a-t-il porté ses fruits ? 

Notre appel était d’abord un cri d’alarme face au silence des pouvoirs publics pour alerter sur la situation que traversait le pays et notamment une très forte augmentation de la pauvreté que nous avions constatée en quelques mois et qui n’avait pas forcément été prise en compte. Et puis, il y avait un risque d’effet ciseau à cause des dépenses qui étaient très importantes, surtout d’achats alimentaires. Nous avions fait appel aux forces économiques du pays, donc aux entreprises et à l’État pour réagir. Et depuis, on a la chance de ne pas constater de baisse du nombre de donateurs qui se chiffrent à quelques centaines de milliers, c’est-à-dire qu’effectivement, on a pu être soutenus. Mais en revanche, le don moyen diminue, ce qui est vraiment le signe que la crise du pouvoir d’achat touche tous les Français, y compris ceux qui tiennent malgré tout à se montrer généreux et à continuer à aider les associations et notamment les Restos du Cœur. 

On a distribué l’an dernier 163 millions de repas. La première année des Restos du Cœur, c’était 8,5 millions. On est à 20 fois plus.

Patrice Douret, président bénévole des Restos du Coeur

Depuis cinq ans, avez-vous constaté une aggravation de la pauvreté dans le pays ?

Si on reprend les deux dernières études qui sont sorties : l’Insee en juillet nous dit que plus de 15% de la population est sous le seuil de pauvreté monétaire, ça veut dire que ce chiffre-là est plus important quand on prend également des personnes qui ne vivent pas dans un logement ordinaire. Cela représente près de 10 millions de personnes ici en France. Par ailleurs, le dernier rapport de l’Unicef est alarmant sur le nombre d’enfants à la rue. On voit donc bien qu’aujourd’hui cette tendance est dans l’aggravation et les Restos ne sont que le reflet de cette crise. Ainsi, on a distribué l’an dernier 163 millions de repas. La première année des Restos du Cœur, c’était 8,5 millions. On est à 20 fois plus. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il faut donc absolument prendre en compte ces 10 millions de personnes comme une vraie priorité nationale d’action politique.

Le profil des bénéficiaires a-t-il évolué lui-aussi ?

Ce qui a fortement changé ces deux dernières années, c’est l’arrivée massive des  familles monoparentales qui ont souvent à leur tête des mamans seules. La jeunesse est également très touchée par la précarité. La moitié des personnes que l’on accueille, c’est-à-dire la moitié d’1,3 million de personnes, ce sont des jeunes de moins de 25 ans. On retrouve aussi beaucoup de travailleurs pauvres. Des personnes qui le dix du mois n’ont plus un seul euro en poche une fois que le loyer et les charges du logement sont payés. Il y a par ailleurs beaucoup de retraités qui ont aidé leurs enfants et petits enfants pendant les deux dernières crises, sanitaire et inflationniste. Et il y a un chiffre qui est terrible, mais il est à l’image de ce que l’on perçoit en termes d’aggravation de la pauvreté, c’est que dans nos centres, 70% des personnes que l’on accueille vivent avec moins de la moitié du seuil de pauvreté, soit moins de 600 euros par mois. 

Face à ce constat, comment s’annonce cette nouvelle campagne d’aide alimentaire, qui ne sera plus sous votre présidence ?

Il n’y a aucun signaux rassurants et c’est même une forme d’indignation. Cette 41ᵉ campagne ne pourra débuter que lorsque les pouvoirs publics, le gouvernement qui va s’installer, aura en tête qu’il faut absolument qu’il continue à soutenir le monde associatif. D’ailleurs, on a déjà interpellé le Premier ministre en lui demandant trois choses. La première, c’est qu’il faut absolument que dans le prochain budget, celui qu’on espère voir un jour venir, que l’on ne fasse pas porter l’effort budgétaire sur les associations, dont beaucoup sont déjà en difficulté. Aujourd’hui, le monde associatif, c’est 1,4 million d’associations, 20 millions de bénévoles et 2 millions salariés qui sont les témoins les plus proches de la vie des Français. Donc, il faut que les associations soient soutenues et entendues. 

La deuxième chose, c’est de préserver les combats qui ont été menés depuis 40 ans par les Restos, notamment la Loi Coluche qui a été votée pour aider les associations et favoriser la générosité du public. Elle ne doit pas être remise en cause, ni fragilisée. 

Et puis la troisième chose, c’est le budget européen. L’Europe a été sollicitée très rapidement après la création des Restos du Cœur pour aider les associations dans la distribution de repas. L’idée au départ, c’était d’aller chercher les surstocks sur les « frigos de l’Europe » et depuis quelques années, c’est un fonds monétaire qu’on appelle le FSE+. Ça représente pour les Restos du cœur un repas sur cinq. Ça veut dire que si l’État ne soutient pas la France au travers de ce budget européen, il faudra trouver des solutions pour remplacer cette aide-là.

Virginie FAUROUX

Partager
Exit mobile version