Coauteur de Sociologie de l’opinion publique (PUF, 2020) et de Votes populaires ! Les bases sociales de la polarisation électorale en 2017 (Ed. du Croquant, 2022), le sociologue Hugo Touzet vient de publier Produire l’opinion. Une enquête sur le travail des sondeurs (Ed. de l’EHESS, 312 pages, 17 euros). Pour écrire ce nouveau livre, il a notamment passé plusieurs mois à enquêter dans un institut de sondage.
Vous êtes le premier chercheur à être entré dans la « boîte noire » des instituts de sondage. L’accès a-t-il été difficile ?
J’ai eu de la chance : le directeur du département Opinion d’un institut, intéressé par mon travail, a accepté que j’observe « de l’intérieur » la fabrique des sondages. Mais, en échange, je devais prêter main-forte au département, qui manquait de bras. La difficulté a été qu’à mon arrivée, mes collègues se sont montrés méfiants : mon accès au réseau informatique était restreint, et les plaisanteries fusaient à mon sujet – « Attention, c’est un espion », ai-je pu entendre.
Si aucun sociologue n’avait encore franchi le seuil d’un institut, c’est pour une raison : les sondeurs nous voient d’un mauvais œil. Heureusement, la distance du début s’est peu à peu estompée. A la fois parce que nous avions des profils similaires (âge, parcours universitaire, centres d’intérêt) et parce que je participais activement à la vie du département.
Cette immersion a-t-elle changé votre regard sur les sondeurs ?
Oui. Contrairement à certaines idées reçues, les sondeurs ont envie de produire ce qu’ils nomment de « beaux sondages », robustes scientifiquement. Ils sont très diplômés. J’ai envoyé un questionnaire dans les départements Opinion de huit instituts : 33 % des répondants sont diplômés d’un Institut d’études politiques, 59 % d’une université, dont une large part de cursus en sciences humaines et sociales. Ils connaissent donc les critiques méthodologiques qui sont adressées à leur travail. Pour autant, dans les faits, ils doivent parfois se résoudre à faire du « sale boulot », c’est-à-dire des sondages de piètre qualité. Et pour cause : leur bonne volonté se heurte aux contraintes commerciales d’un univers très concurrentiel. Il ne faut pas oublier que les instituts de sondage sont des entreprises privées.
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