Jude Law, lors du Festival de Cannes, le 21 mai 2023.

De tous les métiers, peu commercent aussi étroitement avec la mémoire que celui qui consiste à jouer la comédie. Enjoints à mémoriser rôles, gestes et répliques sur le bout des doigts, il arrive que certains acteurs, quand cette opération est réussie, entrent dans la mémoire collective. Au tournant des années 2000, l’Anglais Jude Law y est parvenu, à la faveur de plusieurs succès commerciaux (Le Talentueux Mr. Ripley, 2000 ; Retour à Cold Mountain, 2004), doublés de collaborations avec le gotha hollywoodien, de David Cronenberg (eXistenZ, 1999) à Steven Spielberg (A.I. Intelligence artificielle, 2001).

Le dernier Festival de Cannes, en mai 2023, où il présentait Le Jeu de la reine, du Brésilien Karim Aïnouz, en compétition, nous a offert l’occasion de tester la mémoire du talentueux mister Law. Il y a plusieurs étés, à Montepulciano, en Toscane, nous l’avions croisé par hasard, échappé d’une berline noire aux vitres teintées, vêtu d’amples habits de toile, au bras de sa compagne, la psychologue Phillipa Coan, et de leur enfant – à ce jour, l’acteur en compte sept, de quatre mères différentes. Nos bambins respectifs avaient folâtré autour d’un toboggan. Sur la Croisette, avant de commencer l’entretien, ce bref moment de complicité paternelle lui est revenu à l’esprit : « Votre tête me dit quelque chose…, murmure-t-il en nous dévisageant. Mais bien sûr ! Nos enfants ont joué ensemble, en Italie ! » Nous voilà fixés : ce comédien-là est hypermnésique.

De quoi multiplier les yoyo temporels au fil d’une filmographie où alternent, avec une régularité de métronome, dystopies futuristes et drames historiques. Dans Le Jeu de la reine, Jude Law campe le roi anglais Henri VIII (1491-1547), resté célèbre pour avoir fait décapiter deux de ses six épouses. Difficile, hormis la multiplicité de leurs partenaires amoureux, de trouver le moindre point commun entre l’acteur, d’une douceur affable et primesautière, et le monarque sanguinaire auquel il prête ses traits. « Je ne juge jamais les personnes que je joue, explique-t-il, en faisant ressortir tout le velours de sa voix. J’ai essayé de comprendre d’où venait la folie de ce tyran, qui a grandi dans une prison dorée, à qui ses parents répétaient qu’il était la personne la plus puissante derrière Dieu, qui disposait du droit de tuer quiconque n’était pas d’accord avec lui… On lui a volé son enfance. En quelque sorte, c’était un enfant abusé. »

Lire le portrait (en 2000) : Article réservé à nos abonnés Jude Law, dévoreur de stars

Elu en 2004 « homme le plus sexy du monde » par l’hebdomadaire américain People, dont on a cru comprendre qu’il faisait référence en la matière, Jude Law s’est astreint, pour les besoins du film, à une spectaculaire déchéance physique, se montrant aussi vil, velu et invalide que l’était Henri VIII au soir de sa vie. « Cet homme, formidablement beau dans sa jeunesse, s’est transformé en monstre puant, à mesure que son ventre enflait et que sa jambe pourrissait… Incarner une telle décrépitude fut un sacré défi. De lui, je n’avais, avant de tourner ce film, que l’image d’un histrion ridicule. Je n’avais pas saisi toute l’horreur de sa condition, ni de ses actions. »

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