Est-ce constitutionnel ? Des ministres démissionnaires siégeant à l’Assemblée nationale comme députés et qui participent à l’élection de la présidente, un président de la République qui laisse passer des semaines avant de nommer un premier ministre, un gouvernement qui expédie les affaires courantes, un président qui n’appelle pas à Matignon une personnalité de la coalition qui a obtenu le plus de sièges, est-ce constitutionnel ? Pour dire ce qu’il en était, la presse a fait appel aux constitutionnalistes, comme elle avait fait appel aux médecins lors de la crise sanitaire et aux généraux lors de la guerre en Ukraine. Et elle a aussi – ce qui était normal – demandé aux responsables politiques de donner leur analyse de la situation. Très vite est apparu que la représentation qu’en donnaient les politiques et les constitutionnalistes n’était pas la même. Avant sans doute de prochains débats, il est peut-être utile de dresser un bilan de cette controverse autour de deux points : le pragmatisme de la Constitution et la structure parlementaire de la Ve République.

Matériellement, avant d’être une norme, une Constitution est un acte écrit, c’est-à-dire un texte fait de mots dont le sens, comme tout texte, dépend d’un travail d’interprétation et du contexte de leur usage. Ainsi, le mot « égalité » a pour sens, en 1789, « égalité entre les êtres humains de sexe masculin » ; aujourd’hui, le même mot a pour sens « égalité entre les hommes et les femmes » ; mais il n’a pas – encore ? – le sens « égalité entre les nationaux et les étrangers ». De cette nature pragmatique de la Constitution, il ne faut pas déduire qu’elle ne dit rien, que tout est interprétation et que toutes les interprétations se valent. Pour reprendre en la décalant l’expression de Michel Foucault, l’attribution d’un sens aux mots constitutionnels est redevable d’un ordre du discours juridique, d’un ensemble de contraintes qui fait produire dans un contexte donné l’interprétation qui s’impose.

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Ainsi de la question du pouvoir présidentiel de nommer le premier ministre. De l’usage de l’article 8 de la Constitution par de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand, il fut conclu que le sens de cet article était d’attribuer au président de la République un pouvoir propre, un pouvoir discrétionnaire dans le choix du premier ministre. Et survinrent les cohabitations, qui montrèrent que Mitterrand n’était pas libre de son choix mais contraint, en 1986, de nommer Chirac et, en 1993, Balladur ; comme Chirac fut contraint, en 1997, de nommer Jospin.

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