Régulièrement, dans son école maternelle de l’est de Paris, Astrid (le prénom a été modifié) voit se présenter un type de famille bien particulier. Des parents, en général « plutôt aisés », viennent lui faire des compliments. Ils disent : « Je me suis renseigné, vous êtes la meilleure école de Paris. » Ou encore : « L’école nous plaît de l’extérieur, nous aimerions visiter pour savoir si on mettra notre enfant ici. » Avec une quarantaine d’années de carrière au compteur, dont vingt comme directrice d’école, Astrid n’est pas du genre à se laisser impressionner par ces parents qui jaugent leur établissement de secteur « comme on visiterait un appartement ». Au contraire, cette méprise sur la nature du service public d’éducation la fait plutôt rire. « Les gens n’ont toujours pas compris qu’on ne choisit pas son école, s’amuse-t-elle. Je leur réponds que ça ne marche pas comme ça, et que ce n’est pas parce qu’ils me flattent que leur enfant sera inscrit. »

Astrid les appelle les « consommateurs d’école ». D’autres parlent de « parents clients ». Aux 3 ans de leur enfant, ils entrent à l’éducation nationale comme dans un magasin, exigent le planning des sorties scolaires, critiquent la qualité des ateliers proposés, et parfois même les méthodes. Puis, l’âge avançant, ils contestent les notes, les sanctions, les suggestions d’orientation.

Selon de nombreux enseignants interrogés, le phénomène est en progression, même si ces parents clients ont toujours existé. La crise liée au Covid-19, qui a contraint les familles à mettre plus le nez dans les apprentissages pendant les confinements, et donc dans les méthodes des enseignants, n’y est peut-être pas pour rien. Elle a, en tout cas, poussé jusqu’au point de non-retour la communication sous forme numérique avec les familles. Les messages sur les plates-formes, vite tapés et vite envoyés – y compris sous le coup de l’émotion, y compris la nuit –, ont nettement accentué le sentiment des professeurs d’être sous la pression constante de parents contestataires.

Dans son rapport annuel diffusé le 17 juillet, la médiatrice de l’éducation nationale, Catherine Becchetti-Bizot, notait l’explosion des saisines pour des différends entre parents et enseignants. Les conflits entre familles et établissements constituant désormais 40 % du volume annuel des saisines (soit le double d’il y a cinq ans), elle s’alarmait de l’apparition d’une « culture du rapport de force, aux antipodes de l’alliance éducative nécessaire pour assurer l’accompagnement et la qualité du parcours des élèves ». Plutôt qu’une crise de l’autorité, la médiatrice préférait parler d’une « crise de confiance ». « Les familles se méfient des personnels de l’éducation », insistait-elle.

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