Histoire d’une notion. Il y a un paradoxe dans le concept de l’Etat de droit. Ce principe, qui fonde les démocraties libérales, est pourtant de plus en plus attaqué, notamment par une partie de la droite et de l’extrême droite. Ainsi, le nouveau ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, issu de l’aile la plus conservatrice des Républicains, a affirmé, au début de l’automne, que l’Etat de droit n’était « ni sacré ni intangible ». Face au tollé, il a dû revenir sur ses propos et le premier ministre, Michel Barnier, a été forcé, dans sa déclaration de politique générale, de réaffirmer son attachement « au respect de l’Etat de droit ». De telles attaques ont déjà eu lieu par le passé, entre autres au moment des attentats de 2015, mais également lors de la censure de certaines dispositions de la loi sur l’immigration en janvier 2024.

Les contempteurs de l’Etat de droit voient en lui un obstacle à l’expression de la souveraineté populaire. Deux légitimités s’affronteraient donc : celle issue du vote des politiques et celle issue du droit et de la jurisprudence. L’avocat Arié Alimi, vice-président de la Ligue des droits de l’homme, résume le moment qui, selon lui, dépasse le seul débat juridique : « On veut faire disparaître l’Etat de droit, car il est contraire à une vieille tradition politique où l’Etat l’emporte sur les individus. C’est un débat de fond, essentiel. »

Il y a encore quelques décennies, il semblait néanmoins inconcevable de remettre en cause ce principe. « La démocratie [est] indissociable de l’Etat de droit et l’Europe des démocraties ne [peut] se construire que dans et par le respect du droit, rappelait ainsi François Mitterrand, alors président de la République, en 1993. Un Etat soumis à la loi et qui sache faire respecter celle-ci par tous, voilà l’Etat de droit tant prôné, et à juste titre quand on se souvient de ce qu’il est advenu aux nations où un pouvoir dictatorial a instauré l’Etat totalitaire. »

Notion juridique assez technique, l’Etat de droit est le fruit de la réflexion des plus grands philosophes et théoriciens du droit, comme John Locke (1632-1704), Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Charles de Montesquieu (1689-1755) ou encore, plus récemment, Hans Kelsen (1881-1973). Sa définition varie et ses influences sont multiples : la doctrine allemande du « Rechtsstaat », la « rule of law » britannique et la conception française, héritière des Lumières et de la Révolution française.

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