Roger Lumbala, à Kampala, la capitale de l’Ouganda, le 8 janvier 2013.

Le premier jour du procès de Roger Lumbala a commencé par un coup de théâtre. L’ex-rebelle congolais a prévenu d’emblée, mercredi 12 novembre, qu’il ne se présenterait plus devant la cour d’assises de Paris qui le juge pour complicité de crimes contre l’humanité commis en République démocratique du Congo (RDC).

« La France n’est pas compétente pour me juger, vous allez me juger tout seuls », a déclaré l’accusé de 67 ans, sous le regard de ses avocats qu’il a récusés dès ce premier jour d’audience. « Condamnez-moi comme vous le souhaitez », a-t-il ajouté, évoquant « un braquage judiciaire ».

Détenu depuis son arrestation, fin 2020, Roger Lumbala encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour ces faits remontant à 2002 et 2003, quand il dirigeait le RCD-N (Rassemblement congolais pour la démocratie-National), dont les troupes s’étaient livrées à de nombreuses exactions en Ituri et dans le Haut-Uélé, dans le nord-est de la RDC.

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Soutenue par l’Ouganda voisin, cette faction faisait partie d’une dizaine de groupes alors en lutte dans cette partie du pays. Avec un double objectif : le pouvoir à Kinshasa mais aussi le contrôle des ressources minières de l’est de la RDC, théâtre depuis près de trente ans de guerres entre factions qui, selon diverses organisations internationales, ont fait des millions de déplacés et de morts, directement ou indirectement (malnutrition, maladies…).

« Regardez la composition de la cour »

Roger Lumbala conteste toute responsabilité. Et surtout, il dénie aux Français le droit de le juger : « Cela ne vous rappelle pas les siècles passés ? », a-t-il demandé dès sa déclaration liminaire. « Regardez la composition de la cour », a-t-il poursuivi, tourné vers les jurés et les magistrats, tous blancs, tandis qu’il y a « un Africain dans le box ».

Que le président Marc Sommerer, l’assure de « l’indépendance » et de « l’impartialité » de la cour n’a rien changé. « Je constate que cette auguste assemblée ne maîtrise rien de la situation en République démocratique du Congo », a-t-il accusé quelques heures plus tard, assurant qu’il ne prendrait plus place dans le box jusqu’au verdict, le 19 décembre. Non sans avoir provoqué un incident d’audience en pointant un doigt vindicatif vers une avocate des parties civiles : « Je vous interdis d’insulter mon pays. »

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Jeudi, Roger Lumbala sera extrait de sa cellule et conduit au dépôt du Palais de justice de Paris. Mais « on ne peut pas vous obliger à vous asseoir dans le box », a concédé Marc Sommerer, lui rappelant qu’il pouvait changer d’avis. L’intéressé a secoué la tête.

« Cette manœuvre n’a d’autre objectif que de fuir la justice, c’est un acte de lâcheté » qui « n’empêchera pas le procès de se dérouler, en présence des victimes pour lesquelles » il « est le seul espoir de justice », ont réagi maîtres Clémence Bectarte et Henri Thulliez, avocats de parties civiles.

Une longue liste de crimes documentés

La justice française reproche à Roger Lumbala des crimes commis lors d’une offensive contre un groupe progouvernemental, baptisée « Effacer le tableau » et menée conjointement avec son allié du Mouvement de libération du Congo (MLC) de l’actuel ministre congolais Jean-Pierre Bemba, également soutenu par l’Ouganda.

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Cette offensive a donné lieu à de nombreux crimes, documentés par l’ONU dans son rapport Mapping en 2010 : exécutions sommaires, travail forcé, tortures, mutilations, pillages, ainsi que des viols de femmes qui, selon les enquêteurs français, ont été « utilisés comme armes de guerre », avec un lourd tribut payé par les femmes nande et pygmées bambuti, deux communautés soupçonnées de pencher du côté d’un groupe pro-Kinshasa.

Ministre entre 2003 et 2005, député, candidat à la présidentielle en 2006 avant de reprendre le chemin de l’exil vers la France en 2012 quand il a été accusé de « trahison » pour s’être rapproché du groupe antigouvernemental M23 soutenu par le Rwanda, Roger Lumbala a expliqué aux enquêteurs qu’il n’était qu’un « homme politique n’ayant disposé d’aucun militaire sous ses ordres ».

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Les juges instructeurs français le décrivent au contraire comme « un chef de guerre à la tête de forces armées » ayant laissé les combattants « sous son autorité et son contrôle commettre des crimes contre l’humanité ».

Pour les ONG et les juristes, ce procès est « historique » : il est le premier à se pencher sur des crimes en RDC en vertu de la compétence universelle. Ce principe permet à la justice française de juger ce type de crimes, même commis dans un autre pays, à condition notamment que les auteurs présumés aient leur résidence en France et que des poursuites sur les mêmes faits n’aient pas été engagées dans le pays d’origine. Avant d’être récusés, les avocats de Roger Lumbala ont contesté ce deuxième point.

Le Monde avec AFP

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