L’accusé prend place à la barre, la boule à zéro, piercing à l’oreille, l’agacement au bord des lèvres. « Aucune des victimes présumées n’est arrivée ? », interroge la présidente. Non. Ni Gabriel Attal, qui n’a pas porté plainte, ni les trois policiers reprochant « outrage et rébellion » à Jérémy R. ne sont présents au tribunal correctionnel de Meaux (Seine-et-Marne), ce jeudi 26 septembre. En plus de l’outrage « ordinaire », ce chauffagiste de 39 ans doit répondre d’outrage homophobe contre la personne de l’ancien premier ministre. Il proteste : « J’ai plein d’amis homosexuels, je suis pas homophobe… »
Les faits remontent au 22 mars. Ce jour-là, Jérémy R. se trouve à la foire aux fromages et aux vins de Coulommiers. Accompagné d’un collègue, il boit une pinte de bière, puis deux, puis trois. La rumeur se répand que Gabriel Attal, à l’époque chef du gouvernement, visite les lieux en compagnie de son ministre Franck Riester, ancien maire de la commune. Deux élus qui assument publiquement leur homosexualité. Jérémy R. et son collègue tentent d’approcher le cortège ministériel, entouré d’un cordon de policiers, de journalistes et de badauds. Les deux hommes, le rouge aux joues, exhalent l’alcool. Les forces de l’ordre les repoussent une première fois, puis deux, puis trois. Ils finissent par les empoigner. « Sale PD, Gabriel, dégage de là, sale PD ! enrage Jérémy R. Circulez bande d’enculés, bande de bâtards, connards ! » Les policiers le traînent en garde à vue. Il se débat, les traite de « sales nazis » et de « bande d’enculés » (encore).
Devant le tribunal, le mis en cause se lance dans une explication emberlificotée. Le « Gabriel » visé n’était pas le premier ministre, jure-t-il, mais peut-être un collègue – un autre, absent de la scène – qui aurait renversé sa bière quelques minutes plus tôt.
« Vous avez dit “sale PD” à qui ? insiste la présidente.
— A la foule, ose le prévenu.
— Le hasard fait que Gabriel Attal était à proximité », ironise la magistrate.
Jérémy R., venu avec sa compagne, finit par regretter des propos « injustifiables ». « J’ai réfléchi sur moi-même, sur ma consommation d’alcool, affirme-t-il. Mon inconscient a sûrement parlé pour dire tout ça. » Un inconscient homophobe condamné à 450 euros d’amende, ainsi qu’à l’exécution d’un stage de citoyenneté. Banalité de la justice du quotidien rendue entre deux audiences pour infraction routière et violences conjugales.
Lors de son discours de politique générale, le 30 janvier, le même Gabriel Attal se réjouissait de la décrispation de la société française en matière de mœurs. « Etre Français en 2024, jugeait-il, c’est – dans un pays qui, il y a dix ans seulement, se déchirait autour du mariage pour tous – pouvoir être premier ministre en assumant son homosexualité. » D’Alice Coffin à Lucie Castets, de Clément Beaune à Olivier Dussopt, de Sébastien Chenu à Ian Brossat, il n’a jamais semblé aussi « facile », tous partis confondus, de s’afficher comme gay ou lesbienne en politique. La réalité n’est pourtant pas si simple dans un pays où les pouvoirs publics ont enregistré, en 2023, une hausse de 19 % des crimes et délits homophobes. Un homme ou une femme politique assumant au grand jour son homosexualité s’expose doublement : à la vindicte qui cible les élus et à celle que subissent gays et lesbiennes au quotidien.
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