L’outrage et la surprise exprimés par les Européens face au discours du vice-président américain, J. D. Vance, à la Conférence de Munich sur la sécurité, le 14 février, sont problématiques : les messages envoyés par Donald Trump et son administration depuis son élection de novembre ne laissaient pas de doute sur les évolutions radicales à venir. Le leadership européen semblait être resté sur l’image de la première présidence trumpienne, faite de provocations et d’excès de langage, mais avec des répercussions limitées.
Depuis, l’improvisation s’est transformée en projet politique. Le populisme provocateur de l’ancien businessman et vedette des « reality show » à la Berlusconi a fait place à un illibéralisme consolidé, théorisé et prêt à l’emploi. Cet illibéralisme ne se contente pas de critiquer les valeurs libérales et progressives, il avance un projet politique réel, fondé sur un socle idéologique solide et cohérent dont J. D. Vance s’est fait le chantre.
On peut le résumer ainsi : la souveraineté de l’Etat-nation est primordiale et ne peut être limitée par des lois ou des institutions supranationales ; la société ne peut fonctionner sans autorité morale, et cette autorité peut conduire à des formes d’autoritarisme à l’encontre des institutions démocratiques si celles-ci sont jugées dysfonctionnelles ou « capturées » par les élites « woke » ; les lois doivent être faites pour la majorité, non pour les minorités ; les sociétés doivent être culturellement homogènes, les étrangers peuvent s’y intégrer en acceptant l’assimilation, mais non en demandant le multiculturalisme ; les individus ne sont pas des cartes blanches en termes d’identité, mais sont pétris d’histoire et de géographie, des marqueurs identitaires qui doivent être protégés et valorisés ; les normes culturelles en matière de famille, de sexe et de genre ne peuvent évoluer rapidement.
Sur le plan international, Vance esquisse également un nouvel ordre illibéral marqué par le retour de la puissance. Les puissants de ce monde sont en concurrence et en négociation pour discuter de l’avenir de la planète ; les plus petits s’adaptent à la marge de manœuvre limitée qui leur est attribuée. Les négociations font fi des valeurs morales et du droit international, jugés biaisés idéologiquement en faveur du libéralisme progressiste et contraire aux intérêts nationaux. Les relations entre Etats sont transactionnelles et ad hoc : on dialogue sur un sujet, on se confronte sur un autre. Les affinités idéologiques peuvent exister entre leaders, mais elles ne garantissent en rien un alignement stratégique des pays. L’accélérationnisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle la vitesse est nécessaire pour ébranler le statu quo, permet de prendre de court les concurrents.
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