En mars 2022, Emmy, 11 ans, est morte après sept années de lutte contre le cancer. Sa mère, Laure Marivain, était fleuriste. Leur histoire, racontée le 9 octobre par Le Monde et Radio France a mis en lumière une réalité méconnue, celle des risques invisibles encourus par cette profession et par les salariés de l’industrie floricole. Les fleurs, et en particulier celles qui viennent de loin, sont de petites bombes toxiques, gorgées de pesticides souvent bien plus dangereux que ceux autorisés en Europe, et de surcroît présents sans aucune limite maximale de résidus.

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Laure Marivain a manipulé des fleurs pendant sa grossesse sans se douter un seul instant des risques qu’elle et son enfant encouraient, sans jamais en avoir été informée. Le danger, pourtant, est établi au-delà du doute raisonnable. L’expertise collective rendue en 2021 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), estime que le lien entre leucémies de l’enfant et exposition maternelle aux pesticides pendant la grossesse est établi avec un niveau de preuve fort. Sans surprise, les experts du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) ont ainsi admis ce lien causal, ouvrant la voie à une indemnisation des parents d’Emmy.

La création du FIVP, en 2020, constitue « une reconnaissance que les pesticides sont un risque professionnel trop longtemps négligé », écrivent les sociologues Jean-Noël Jouzel (CNRS) et Giovanni Prete (université Paris-Sorbonne), dans un article publié en mars par la revue AOC, qui attirait déjà l’attention sur les travailleurs de la fleur. Il y a pourtant, à l’évidence, quelque chose d’ambigu dans cette histoire.

Indemnisation modique

D’abord, le barème du Fonds d’indemnisation est singulièrement chiche, comme le notent les deux chercheurs. La perte d’un enfant ou d’un conjoint est indemnisée à hauteur de 25 000 euros. Perdre un frère ou une sœur ? C’est 5 000 euros. Un enfant qui perd ses parents a droit à 15 000 euros. Adossée à la sécurité sociale des agriculteurs, la structure indemnise les victimes de manière bien trop modique pour remettre en cause l’économie des secteurs qui utilisent ces produits (agriculture conventionnelle, industrie floricole, production animale…). Au total, en 2023, 523 personnes ont été indemnisées, pour une enveloppe globale d’un peu plus de 13 millions d’euros.

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Par comparaison, le système judiciaire américain, répondant au même genre de situations, se montre bien plus redoutable. Le 10 octobre, Bayer était condamné par un tribunal de Philadelphie à verser 78 millions de dollars (72 millions d’euros) à un unique plaignant, malade d’avoir utilisé une unique substance (le glyphosate). Bayer a fait appel. Mais le seul glyphosate a contraint la firme à engager jusqu’à présent près de 11 milliards de dollars pour régler à l’amiable des dizaines de milliers de litiges – il en reste encore plus de 50 000 dans les tuyaux de la justice américaine.

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