L’intendance suit-elle ? Trois ans après le lancement par Emmanuel Macron du concept d’économie de guerre, dans la foulée de l’invasion russe en Ukraine, l’industrie d’armement française peine à changer de dimension. La hausse importante de l’effort budgétaire pour la défense, annoncée le 13 juillet par le chef de l’Etat, est indispensable pour accompagner cette mise à niveau. Cependant passer d’une production formatée pour temps de paix à un complexe militaro-industriel adapté au nouveau contexte géopolitique n’est pas qu’une question de moyens financiers, mais aussi d’organisation.

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La problématique se pose essentiellement en termes de changement d’échelle et de rythme nécessitant une remise à plat de la logique de production. Celle-ci a été jusqu’à présent tournée vers une fabrication en flux tendu et en petites séries, destinée soit au ministère de la défense, soit à l’exportation, avec des délais de livraison peu exigeants. Or, une économie de guerre réclame de produire massivement, régulièrement et dans des délais contraints. Le tissu industriel français, affaibli par des années de sous-investissements, de rationalisation et de commandes épisodiques, doit profondément se transformer à la fois sur le plan qualitatif et sur le plan quantitatif.

La montée en puissance pour tendre vers ce modèle s’est heurtée ces derniers mois à plusieurs obstacles. Sans commandes fermes, les industriels ne peuvent pas investir dans de nouvelles capacités de production. Celles-ci sont aujourd’hui au bord de la saturation. Or le carnet d’ordres passé aux grands groupes d’armement par la direction générale de l’armement (DGA), bras armé de l’Etat en matière d’acquisitions militaires, a été perturbé par le vote tardif du budget 2025. La situation est désormais en passe d’être résolue. Au retard pris il s’ajoute des pratiques comptables pénalisantes pour les entreprises. Les reports de charges, qui consistent pour la DGA à ne payer que l’année suivante des matériels déjà livrés, constituent un frein à la mobilisation de l’appareil productif.

Coordination au niveau européen

Autre angle mort, la fragilité de la base industrielle et technologique de défense, constituée de milliers de petites et moyennes entreprises et d’entreprises de taille intermédiaire. Les grands groupes comme Thales, Safran, Dassault ou KNDS dépendent d’un tissu de sous-traitants qui manquent de visibilité sur les carnets de commandes, d’accès au financement et de soutien pour recruter ou investir. Si les donneurs d’ordre et les pouvoirs publics ne protègent pas davantage cet écosystème pour le faire grandir, c’est l’ensemble qui risque de se gripper. Or, à ce jour, les dispositifs d’aides restent fragmentés, lents et peu lisibles.

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Enfin, le pari ne pourra réussir sans une meilleure coordination au niveau européen sur les normes, les besoins, les priorités industrielles. Si chaque Etat membre continue à développer ses propres équipements, ses propres munitions, sans volonté de s’inscrire dans un minimum de mutualisation, l’effort européen risque d’être dilué et finalement de perdre en efficacité. Le fait que les tentatives de projets communs, comme le char du futur (MGCS) ou le système de combat aérien (SCAF), s’enlisent dans des rivalités nationales et des inerties politiques est de mauvais augure.

L’économie de guerre, ce n’est pas seulement produire plus ; c’est aussi décider plus vite, mieux anticiper et coordonner les efforts au niveau national comme européen. Tant que ces conditions ne seront pas remplies, la montée en cadence de l’industrie de la défense restera un vœu pieux.

Le Monde

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