Programmé pour durer plusieurs mois, le procès des viols de Mazan revêt de toute évidence un caractère symbolique. En témoignent son ampleur (près de cinquante accusés), son mode opératoire (viols par soumission chimique organisés par un mari sur sa femme) et la présence, parmi les accusés, d’hommes de tous âges et de tous milieux sociaux. L’audience du procès est internationale, les rassemblements féministes se multiplient, la presse relaie massivement l’événement… On le compare, par sa résonance, au procès d’Aix-en-Provence qui, en 1978, avait permis à l’avocate Gisèle Halimi (1927-2020) d’imposer dans le débat public la définition criminelle du viol. La différence majeure avec cette époque porte un nom : #metoo. Dire que ce procès est celui du patriarcat nous fait oublier le rôle joué par le rituel judiciaire et sa mutation récente dans l’espace public.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Au procès Pelicot, l’accusatrice accusée : « Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte »

Dans les années 1970, le déni du viol imprégnait les mentalités. A cette époque, les plaignantes défendues par Gisèle Halimi n’avaient pu convaincre la juge d’instruction qui voyait dans leur viol de simples coups et blessures. Même dialogue de sourds à l’audience où elles devaient répéter qu’elles avaient « subi » des violences sexuelles et non « accepté passivement », afin de convaincre leurs juges. Aux portes du palais, les accusés bénéficiaient du soutien massif de la population locale. Seul un procès largement médiatisé pouvait ébranler une telle vision du viol partagée par les tribunaux.

Sans ce procès, nous n’aurions pas mesuré l’ampleur et l’horreur irreprésentables de ce que subissent de nombreuses femmes. La qualification de viol est posée d’emblée et une juridiction spécifique (la cour criminelle départementale) est consacrée aux affaires de mœurs. En France, les victimes peuvent se constituer partie civile, ce qui n’est pas le cas dans nombre de pays, et sont accueillies dans les tribunaux. Sur cette scène, toutes les voix sont légitimes à se faire entendre, ce qui explique la longueur de ce procès. Les accusés ne sont pas un échantillon d’une masculinité toxique, mais des hommes jugés à la hauteur de leurs responsabilités. Tout sépare les scènes médiatique et judiciaire. La presse les décrit comme des hommes « ordinaires », ce qui ferait de nous tous des violeurs en puissance. Jugés comme accusés, ils sont, au contraire, rigoureusement individualisés, présumés innocents et défendus par leurs avocats.

Epicentre d’un choc

Ce qui n’est pas indifférent pour les parties civiles. Quand on a été réduit à rien, on veut croire que celui qui a agi ainsi peut se secouer. Qu’il mette une distance entre son acte et lui. Que le procès réveille en lui une conscience morale que son addiction lui a fait oublier. Si le viol déshumanise la victime, la possibilité d’interroger et de regarder l’auteur en face brise la relation de soumission. Sorti de l’anonymat par l’audience, il cesse être le double inversé de la victime. S’il avoue, sollicite un pardon, ce qui est rare, il participe au dénouement d’un lien mortifère. Il se réhumanise et, comme je l’ai vu, réhumanise sa victime.

Il vous reste 53.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version