L’océan est au cœur des enjeux du changement climatique car il joue un rôle régulateur en absorbant 30 % des émissions de carbone. Il occupe une place essentielle dans la réflexion scientifique sur la biodiversité des écosystèmes marins comme sur les sociétés humaines qui vivent sur les littoraux. Il constitue un véritable laboratoire pour mesurer non seulement les impacts actuels du changement climatique mais aussi pour comprendre l’histoire profonde de la Terre par l’étude des sédiments déposés au fond des océans. Dans Waters of the World (« les eaux du monde », University of Chicago Press, 2019, non traduit), Sarah Dry s’attache à situer la place de ces recherches dans l’histoire des sciences de l’eau depuis cent cinquante ans.

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L’historienne des sciences montre comment la connaissance globale des océans a été forgée par la mise en commun de mesures, d’observations, de descriptions, d’inventaires ou encore de modélisations, comme dans le cadre de l’école d’été GFD (pour Geophysical Fluids Dynamics) de la Woods Hole Oceanographic Institution, établie depuis 1959. Un de ses participants, Henry Stommel, qui publia en 1948 un article déterminant sur les courants de tous les bassins océaniques, a ouvert la voie à une nouvelle façon de mener des expériences dans l’océan, qui exigeait une coopération à grande échelle et à long terme. Cette coopération internationale place plus que jamais les institutions scientifiques, comme l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, dans une position stratégique pour saisir les transformations à venir, et fait naître des inquiétudes quant à leur financement. Elle montre combien le soutien des Etats a toujours été décisif.

Politique navale

Même si cette curiosité savante pour l’océan fut longtemps le fait d’initiatives individuelles, elle s’affirme aux XVIIe et XVIIIe siècles sous l’impulsion des académies des sciences comme la Royal Society ou l’Académie de marine, fondée en 1752 pour développer une « histoire physique de la mer », selon le titre de l’ouvrage de Louis-Ferdinand de Marsilli publié en 1725. C’est bien en effet dans le sillage d’une politique navale ou de conquêtes territoriales que les pratiques d’exploration scientifiques ont été d’abord encouragées.

Avant le voyage du Beagle, en 1831, qui permit à Charles Darwin d’étudier les coraux, Nicolas Baudin effectue entre 1800 et 1804, sur ordre de Napoléon Bonaparte, une mission de reconnaissance de la Nouvelle-Guinée et de l’Australie, ramenant une vaste collection d’animaux marins. En juillet 1880, Léopold de Folin et Alphonse Milne-Edwards obtiennent le soutien des ministères de l’instruction et des affaires maritimes pour lancer une expédition en mer profonde dont la collecte fut présentée lors d’une exposition publique au Muséum, en 1884. L’émergence de l’océanographie comme discipline scientifique s’est aussi accompagnée de la création d’infrastructures scientifiques comme les stations marines, celle de Concarneau en 1859 ou celle de Roscoff en 1872, ou encore les musées océanographiques, dont celui de Monaco, inauguré en 1910.

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