Le 29 novembre, la prestigieuse conférence Marc Bloch accueillera l’historienne des sciences Lorraine Daston. C’est l’occasion de revenir sur son parcours intellectuel exceptionnel. Née en 1951, tentée d’abord par une carrière d’astronome, elle découvre les mathématiques, la philosophie et l’histoire des sciences à Harvard et à Cambridge. Directrice de l’Institut Max-Planck d’histoire des sciences, créé en 1994, voilà plus de trente ans qu’elle est aussi l’autrice d’une œuvre foisonnante, historicisant les grandes questions de philosophie des sciences : les faits, la curiosité, la preuve, l’objectivité, l’observation, les archives ou encore les objets scientifiques. Son approche attentive aux formes, aux catégories, aux concepts des sciences est fondée sur une longue durée depuis l’Antiquité, et promeut un comparatisme au lointain avec d’autres aires culturelles.

En gardant le cap d’une histoire intellectuelle des sciences, son travail consiste en effet à reprendre, à reformuler et à déplacer les lignes de force d’une histoire de la rationalité dont la tradition remonte à loin. L’œuvre de Mme Daston se signale ainsi par l’établissement d’un véritable programme historiographique propre, intitulé « épistémologie historique ». Cette expression n’est pas nouvelle, et fait écho en France aux travaux de Gaston Bachelard, de Georges Canguilhem et de Michel Foucault. Si elle s’inscrit dans les bouleversements de l’histoire des sciences depuis les années 1980, marquée par un dialogue qui s’est approfondi avec les sciences sociales et l’histoire culturelle autour de la notion de pratique scientifique, Lorraine Daston pointe l’écart grandissant entre une approche de plus en plus contextualisée, qui suit en cela la tendance de l’histoire générale, et les science studies recentrées sur les sciences contemporaines. Dans cette évolution, l’histoire des sciences aurait perdu sa dimension théorique, s’éloignant à la fois des sciences sociales et de la philosophie, tandis que les science studies seraient devenues de moins en moins historiques.

Police des pratiques

En maintenant ce lien avec les questionnements de la philosophie des sciences, Lorraine Daston s’attelle à la question de la normativité des sciences. Dans son dernier livre, Rules : A Short History of What We Live By (Princeton University Press, 2022, non traduit), elle enquête pour savoir pourquoi la démarche scientifique a été associée à une exigence de règles, de lois, de logique ou de méthode. Si la discussion sur la normativité de la science remonte à l’Antiquité avec Platon, Daston montre qu’au-delà des sciences, un grand nombre d’activités furent standardisées et encadrées depuis la fin du Moyen Age par des manuels d’instruction, et même qu’une dynamique de généralisation des règles s’est affirmée à l’époque moderne (coutume, police, artisanat, etc.) qui n’est pas sans lien avec une forme de police des pratiques.

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