Macha Makeïeff, à Marseille, en 2016.

A 70 ans, Macha Makeïeff réussit la quadrature du cercle, en offrant un superbe Dom Juan à la fois inscrit dans une époque – le XVIIIe siècle – et très parlant pour la nôtre. La metteuse en scène s’explique sur ces allers-retours temporels et sur la forme d’archéologie du prédateur qu’offre le chef-d’œuvre de Molière.

D’où votre désir de monter « Dom Juan » vient-il ?

Je pars toujours de quelque chose de très intuitif et, en général, c’est dans le travail que se vérifie la nécessité profonde qui m’a menée vers une pièce. J’ai mis en scène auparavant deux autres textes de Molière, Les Femmes savantes et Tartuffe, elles aussi centrées sur des figures de prédateur, qui exercent une emprise sur leur entourage. Il y a une porosité entre ces trois pièces autour de l’énigme masculine, qu’il m’a toujours intéressé d’approcher.

Qu’avez-vous redécouvert en relisant la pièce aujourd’hui ?

La pièce est un continent extraordinaire. En la désossant dramaturgiquement, il m’est apparu qu’il fallait vraiment quitter le mythe. Si l’on regarde de près le texte, on voit que Dom Juan est sans cesse empêché : rien n’aboutit dans sa vie. Le spectacle est la chronique de cet homme qui se croit tout-puissant, qui est du bon côté de l’aristocratie, qui a tout pour lui, mais qui est bloqué de partout. Il y a une forme de coïtus interruptus permanent dans la pièce, qui nous parle beaucoup aujourd’hui.

Pourquoi inscrire la pièce dans le XVIIIe siècle plutôt que dans le XVIIe de Molière ?

Je pensais que ce phénomène de rejet de Dom Juan par ses pairs et ses pères serait plus lisible au XVIIIe siècle. Sur le plan plastique aussi, le siècle de Sade et de Choderlos de Laclos m’intéresse d’avantage : c’est le moment où l’esprit français est le plus virulent, où la lutte en marche se joue dans les corps, où le ciel est résolument vide. Par ailleurs, je ne voulais pas opposer Dom Juan et Sganarelle comme on le fait toujours, c’est-à-dire quelqu’un qui aurait de l’esprit et l’autre qui serait un benêt. Je voulais vraiment une osmose entre ces deux-là et, pour cela, un Sganarelle presque aussi spirituel que son maître.

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Il y a aussi la pratique de l’ironie que j’entends dans la langue de Molière. Pour moi, il parle tout le temps de l’ambivalence de ses personnages : la parole n’est pas l’expression absolue de ce qu’ils ressentent. Plus que jamais dans Dom Juan, le corps et la parole ne sont pas au même endroit, surtout chez les femmes. Sur tous ces points, j’ai trouvé que le XVIIIe siècle allait mieux raconter l’affaire : c’est le moment où cette aristocratie qui se débarrasse de Dom Juan est au bord de l’abîme, elle sent bien que quelque chose va se fracturer.

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