Alors que l’UE vise une « pollution zéro » de l’eau en 2030, ses États membres peinent à lutter contre les impacts des activités maritimes.
Ce sont les conclusions d’un rapport de la Cour des comptes européenne, publié mardi.
Les raisons : des contrôles trop rares et des sanctions trop peu appliquées contre ceux qui polluent les mers européennes.
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L’Europe navigue en eaux troubles. Alors que la protection de l’océan sera au cœur des discussions en juin prochain lors de la conférence des Nations unies sur ce thème (UNOC-3) organisée à Nice, la Cour des comptes européenne tire la sonnette d’alarme. Dans un rapport publié mardi 4 mars (nouvelle fenêtre), elle estime que les mers des États membres de l’UE restent encore bien trop polluées. En cause : une application encore défectueuse de la législation européenne par les 27.
« La pollution marine causée par les navires et les bateaux demeure un problème majeur et, malgré quelques améliorations ces dernières années, l’action de l’Europe ne parvient pas à nous sortir de ces eaux troubles, a pointé lors d’une conférence de presse Nikolaos Milionis, le membre de la Cour responsable de l’audit. La réalité, c’est que plus des trois quarts des mers européennes ont un problème de pollution ».
Un objectif « zéro pollution » hors de portée
La pollution des mers en Europe est causée par les nombreuses activités qui se déroulent dans la mer territoriale et la zone économique exclusive (ZEE) des États. Parmi les principales sources de pollution : le vieillissement des navires, les conteneurs perdus en mer, les épaves de navires, les rejets de soufre dans l’atmosphère, ou encore les dégazages illégaux. Selon un rapport de l’Agence européenne pour l’environnement publié en 2019, 80% des eaux maritimes de l’UE sont ainsi classées « zones problématiques » en raison de hauts niveaux de contaminants et 75% sont polluées par des déchets marins.

Un taux particulièrement élevé alors que l’Union européenne a l’objectif d’une « pollution zéro » de l’eau à l’horizon 2030 (nouvelle fenêtre). Si la législation de l’UE pourrait lui permettre d’atteindre cet objectif, avec des règles parmi les plus strictes au monde, c’est leur application par les États membres qui « présentent des faiblesses », pointe la Cour des comptes. Selon l’institution, les pays du Vieux continent « sous-utilisent » des « outils et services » de l’Agence européenne pour la sécurité maritime, ce qui rend « l’objectif zéro pollution pour protéger la santé humaine, la biodiversité et les stocks halieutiques tout bonnement hors de portée », pointe Nikolaos Milionis.
Des failles pour lutter contre les marées noires
Parmi les problèmes les plus importants dans les mers européennes : les rejets d’hydrocarbures et les marées noires. On estime qu’à l’échelle planétaire, entre 1 et 4,5 millions de tonnes de pétrole sont déversées chaque année, issus pour la plupart de rejets délibérés tels que les opérations de nettoyage de cuves et les rejets de déchets. Mais l’audit de la Cour européenne montre « des failles béantes » au sein de l’UE dans ce domaine.
Pour lutter contre ce fléau, les 27 ne s’appuient pas assez sur le programme CleanSeaNet mis en place par l’UE, pointe l’institution. Ce système de surveillance par satellite permet de scruter les mers pour détecter les rejets d’hydrocarbures. L’outil, qui fournit des images en haute résolution, est pensé pour permettre aux États de détecter un rejet et d’intervenir rapidement pour effectuer un contrôle. Problème : moins de la moitié des signalements sont suivis d’opérations en mer (44% en moyenne dans l’UE). Pour la France, c’est même encore moins, avec seulement 30% sur les 607 signalements effectués en 2022 et 2023 et 6% des alertes de pollution qui ont été vérifiées.
D’où le faible taux de sanction des pollueurs qui peuvent poursuivre leurs activités en toute quiétude. « Les auteurs de rejets illégaux de substances polluantes dans la mer font rarement l’objet de sanctions effectives ou dissuasives, et les poursuites sont rares », fustige le rapport de la Cour des comptes qui pointe que la « quantité réelle d’hydrocarbures, de contaminants et de déchets marins déversés par les marins reste en grande partie inconnue, de même que l’identité des pollueurs ».
Cette problématique est aussi valable pour les infractions liées à la récupération des engins de pêche abandonnés, perdus ou rejetés en mer. Et dans ce domaine, la France est encore plus à la traîne : entre 2015 et 2019, sur les 93 infractions concernant les « engins de pêche perdus », 86 ont été signalés par l’Espagne, tandis que Paris n’en a signalé aucune. Pourtant, selon les chiffres du Parlement européen (nouvelle fenêtre), les déchets issus de la pêche et de l’aquaculture représentent 27% des déchets marins.
Des conteneurs perdus et jamais récupérés
Autres lacunes pointées par la Cour des comptes européenne : les conteneurs de transport de marchandise. Des centaines sont perdus chaque année en pleine mer en raison d’un mauvais arrimage, d’accidents ou de mauvaises conditions météorologiques. Des conteneurs qui peuvent ensuite libérer des substances dangereuses ou des granulés de plastique qui polluent les mers et les plages, comme ce fut le cas, mi-janvier, sur le littoral du sud de la France, notamment dans la région du Bassin d’Arcachon.
Le phénomène est tel que la Commission européenne, dans son analyse d’impact sur la pollution des microplastiques (nouvelle fenêtre) publiée en 2021, a estimé que la perte de granulés plastique en mer ou sur terre constituait la troisième plus importante source de rejets non intentionnels de microplastiques dans l’environnement.
Rien qu’en France, les autorités estiment que 1.200 conteneurs ont été perdus dans les zones de l’Atlantique et de la Manche/mer du Nord entre 2003 et 2014. Seuls 49 ont été récupérés, soit environ 4% des équipements perdus, alors la législation européenne impose aux États membres de veiller à ce que le capitaine d’un navire signal immédiatement tout conteneur égaré à l’État côtier compétent. Une consigne très peu respectée dans les faits.
Le recyclage, point noir de la législation européenne
Autre exemple de pollution que l’UE peine à réguler : les problèmes autour du démantèlement des navires. Selon l’audit, les armateurs parviennent encore à échapper à leurs obligations en matière de recyclage, alors que depuis le 21 décembre 2018, les navires de commerce battant pavillon européen d’une jauge brute égale ou supérieure à 500 doivent être recyclés dans des installations agréées par l’UE (nouvelle fenêtre). Problème, beaucoup contournent cette règle en changeant le pavillon de leur navire en fin de vie contre un pavillon d’un autre pays.
Selon les chiffres de la Cour des comptes, en 2022, 14,2% de la flotte mondiale battait pavillon d’un État de l’UE, alors que ce n’était le cas que de 6,1% des navires en fin de vie. Un stratagème qui permet ensuite aux armateurs d’envoyer leurs navires vers des chantiers de démolition non agréés par l’UE, moins coûteux avec des temps d’attente moins longs, mais dangereux et polluants pour l’environnement.
Des sites principalement situés au Bangladesh, en Inde, au Pakistan ou en Turquie et sur lesquels les bateaux sont démantelés à même la plage, laissant fuiter des produits chimiques dangereux et dans des conditions de travail déplorables. Un problème dénoncé par l’ONG The Shipbreaking plateform (nouvelle fenêtre) et qualifié par l’Organisation mondiale du travail (OIT) de « problème environnemental et sanitaire majeur dans le monde ». Pour tenter de mettre de l’ordre dans ces pratiques, la convention internationale de Hong Kong doit entrer en vigueur en juin prochain, avec l’entrée en vigueur d’un mécanisme de contrôle de recyclage. Une convention ratifiée par dix États membres côtiers et un État membre non côtier de l’UE.
Les épaves sont également une importante source de pollution de la mer en Europe, en raison des substances chimiques et du fioul lourd qu’elles peuvent contenir. En France, le service hydrographique et océanographique de la Marine (Shom) a répertorié 4.700 épaves de plus de 40 mètres de long et échouées sur le territoire tricolore.
Pour mieux lutter contre ces problématiques, la Cour des comptes européennes préconise de « renforcer le suivi des contrôles que les États membres sont tenus d’effectuer ». La Commission, elle, reconnaît « que des efforts et des méthodes supplémentaires sont nécessaires pour lutter contre la pollution des eaux marines par les navires ». Elle indique également qu’elle « tiendra compte » du rapport de la Cour des comptes « dans les prochaines initiatives stratégiques de l’UE et dans la mise en œuvre des initiatives existantes », promettant un « pacte européen pour les océans » qui « veillera à la cohérence de tous les domaines d’action liés aux océans ».