Professeur à l’université de Georgetown (Washington, DC), Michael Kazin est l’un des plus fins spécialistes de l’histoire de la gauche américaine. Il est notamment l’auteur de What It Took to Win. A History of the Democratic Party (« ce qu’il a fallu pour l’emporter. une histoire du Parti démocrate », Farrar, Straus and Giroux, 2022).

Quel regard portez-vous sur la mobilisation en faveur des Palestiniens dans différentes universités américaines ?

Nous assistons au mouvement le plus important sur les campus américains depuis la lutte anti-apartheid dans les années 1980. La cause palestinienne mobilise la gauche américaine dès la guerre des Six-Jours, en 1967. Le mouvement a pris de l’ampleur avec l’essor, en 2005, de la campagne Boycott, désinvestissement, sanctions contre Israël. Cette initiative n’avait cependant pas gagné un large soutien au-delà des milieux radicaux, même si elle est soutenue par des figures aussi connues que la philosophe Judith Butler et l’essayiste Naomi Klein.

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Aujourd’hui, la mobilisation prend une autre dimension face aux horribles images provenant de Gaza : des milliers de civils, d’enfants, ont perdu la vie. La façon dont Israël mène cette guerre suscite du dégoût et de la colère, tout comme les engagements répétés du premier ministre Benyamin Nétanyahou à faire couler le sang tant que le Hamas ne sera pas détruit. Une solidarité latente en faveur des Palestiniens existait, une vague s’est désormais soulevée.

Le mouvement a-t-il été préparé par des mobilisations précédentes ?

Certaines organisations prenant part aux protestations actuelles existent depuis les années 1990 : Students for Justice in Palestine [« Etudiants pour la justice en Palestine »] et Jewish Voice for Peace [« Voix juive pour la paix »]. L’essor de Black Lives Matter au cours des dix dernières années a également été à l’origine d’un combat contre le « racisme systémique » aux Etats-Unis. Dans le même esprit, le « régime d’apartheid » qui existerait en Israël est aujourd’hui dénoncé. L’Etat hébreu est également accusé d’être une « colonie de peuplement ». L’influence du discours tiers-mondiste hégémonique au sein de la nouvelle gauche des années 1960 et 1970 se fait toujours sentir.

L’antisémitisme a-t-il progressé à gauche ?

Ce n’est qu’épisodiquement que l’antisémitisme a pu constituer un problème au sein de la gauche américaine. Dans les années 1960, par exemple, un conflit a éclaté en marge d’une grève dans l’enseignement public, des militants noirs qui souhaitaient la mise en place d’un « contrôle par la communauté des écoles » se sont alors opposés à un syndicat d’instituteurs juifs. Les tensions ont atteint un tel niveau qu’elles ont fragilisé l’alliance nouée entre les Afro-Américains et les juifs dans les années 1920. Puis, en 1984, le révérend Jesse Jackson, l’une des figures du combat pour les droits civiques, a suscité un scandale, en pleine course pour l’investiture démocrate à la présidentielle, parce qu’il avait utilisé une injure antisémite.

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