Les traits juvéniles du visage de Milly témoignent de son réveil laborieux, à 4 heures, pour embaucher à l’usine. Elle est encore vêtue de l’uniforme bleu, jaune fluo et gris d’ouvrière à la chaîne de la fabrique de plaques de contreplaqué dans laquelle elle entame sa période d’essai et où Sandra, sa mère, travaille depuis six ans. « Pour l’instant j’aime bien l’usine, au moins je ne pense pas trop, je me concentre sur mes gestes », commence la jeune femme de 23 ans. « Oui mais je ne te souhaite pas de rester là toute ta vie », répond Sandra, les cheveux humides de la douche qu’elle a prise pour dissiper les particules de bois et les molécules de colle.

« J’ai besoin d’argent pour passer mon permis et devenir aide-soignante », explique Milly, en malaxant sa cuisse avec ses doigts, assise dans la cuisine familiale de leur maison de la campagne niortaise. « J’avais bien commencé mon permis il y a quatre ans, mais… » Sa voix décroche, ses yeux s’inondent. Sa mère termine la phrase de sa fille, fauchée par la douleur : « … Avec l’évènement, avec les faits [Sandra cherche le bon mot], avec l’agression, tu n’as pas pu continuer. » « Ma vie n’est plus pareille, je n’étais pas comme ça avant, ils ont détruit ma vie », dit Milly en s’effondrant.

Dans l’implacable langage judiciaire, « cet évènement, ces faits, cette agression » ont été qualifiés de « viols en réunion », « complicités de viol en réunion », « menaces de mort » et « intimidation pour déterminer une victime à ne pas porter plainte ». Les faits se sont produits durant la nuit du 3 au 4 mars 2020 dans le local à poubelles d’une barre d’immeubles de la cité des Mordacs, à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), et ont abouti à la mise en examen de sept hommes et d’une femme – les prénoms des mineurs et des personnes qui n’ont pas été renvoyées devant le tribunal ont été modifiés.

Les victimes des mal nommées « tournantes », ces viols collectifs, constellent les cours criminelles françaises mais témoignent peu en leur nom propre, blessées par la cruauté des actes subis, écrasées par la peur d’être seule face à tant d’hommes violents. Dans les statistiques criminelles, le viol commis par plusieurs auteurs n’est pas le plus récurrent, mais il est la marque de « la force de la solidarité masculine qui confère au viol sa dimension collective ». Pour la sociologue de l’Institut national des études démographiques Christelle Hamel, l’explication se trouve non pas dans la misère économique, sexuelle ou culturelle des agresseurs, mais « dans le système de hiérarchisation des sexes », écrivait-elle déjà, en 2003, dans un article intitulé « Faire tourner les meufs. Les viols collectifs : discours des médias et des agresseurs ».

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