La star australienne impressionne dans le troublant « Babygirl », en salles ce mercredi en France.
Elle incarne une businesswoman qui entretient une relation sulfureuse avec un jeune stagiaire.
La réalisatrice néerlandaise Halina Reijn livre à TF1info les clés de ce petit chef-d’œuvre.

Le premier choc cinématographique de 2025 est signé Halina Reijn, une réalisatrice néerlandaise jusqu’ici méconnue en France. Dans Babygirl, elle offre à Nicole Kidman l’un des rôles les plus troublants de sa carrière, couronné par le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise en septembre dernier. La star australienne de 57 ans incarne Romy, une épouse et femme d’affaires épanouie, du moins en apparence. Un matin, en allant au bureau, elle croise la route de Samuel (Harris Dickinson), un séduisant stagiaire qui dompte un chien méchant sous ses yeux. Et réveille en elle des pulsions inavouables… De ce point départ « à la Liaison Fatale », Halina Reijn tisse une comédie érotique qui joue avec les attentes du spectateur pour interroger avec brio la réussite, le désir et le pouvoir dans notre société post-MeToo. Depuis les États-Unis, son auteure raconte à TF1Info les petits secrets de ce petit chef-d’œuvre aussi intime qu’universel…

Entrons dans le vif du sujet : le scénario de Babygirl serait-il le fruit de vos propres fantasmes ?

Ça se voit que vous êtes européen parce qu’aux États-Unis, personne n’oserait me poser cette question ! (Sourire) Mais comme je suis moi aussi européenne, je vous pardonne ! Dans ce film, j’utilise la sexualité comme une métaphore de la crise existentielle de mon héroïne. C’est quelqu’un qui a besoin de se libérer. Et je trouvais que ce serait incroyablement divertissant et savoureux de faire ma propre version d’un thriller érotique, même si, à l’arrivée, c’est davantage une comédie érotique. Je voulais utiliser l’attrait du public pour ce type de film pour lui parler en réalité d’un désir de transformation.  C’est pour ça que ça s’appelle Babygirl. Parce qu’il s’agit d’une renaissance. J’aime bien aussi jouer avec vos attentes : voici une femme de pouvoir, elle semble avoir tout ce qu’elle désire. Et elle demande à être dégradée par un homme plus jeune…. Qu’est-ce que ça veut dire à une époque très féministe ? Ce que je veux, c’est provoquer une discussion chez le spectateur en le confrontant à ses sentiments, sa morale, son jugement.  

Pour moi, le consentement est symbole de respect, d’égalité, de permission et de sécurité

Halina Reijn

Comme vous l’avez dit, Babygirl s’inspire des thrillers érotiques des années 1990 comme Liaison Fatale et Basic Instinct pour basculer dans tout autre chose. Pensez-vous qu’on ne peut plus faire ce genre de film aujourd’hui ? 

Dans la première moitié, je rends vraiment hommage aux thrillers érotiques des années 1990 parce que je les adore. Ils me plaisaient parce qu’ils avaient une certaine noirceur, ils levaient des tabous. C’était libérateur à l’époque. Mais je trouvais toujours la dernière partie très ennuyeuse, à la fois inhumaine et grotesque. La fin de Liaison Fatale quand Glenn Close fait bouillir le lapin dans la casserole, je trouve ça ridicule ! Je pense qu’on ne peut plus proposer ce genre d’épilogue où la maîtresse est punie et la morale est sauve. Ce que je veux, c’est aller plus loin. Apporter ma touche féminine et explorer la manière dont notre identité de genre et notre sexualité sont conditionnées par le patriarcat. Tous mes personnages sont humains. Ils sont tous sombres, défectueux, corrompus… Mais aussi lumineux, beaux et angéliques. Comme n’importe quel individu sur cette planète.

Le film pose la question du consentement, un terme omniprésent dans la fiction comme dans l’actualité. Quel en est votre définition ? Pensez-vous qu’il en existe une seule ?

Je ne pense pas qu’il existe une définition unique du consentement, mais je peux vous donner la mienne. Et je pense que c’est indispensable d’en parler, car lorsque j’étais comédienne, je me suis retrouvée très très très souvent dans des situations qui étaient complètement anormales. Parce que je n’avais ni les outils, ni la force de dire quoi que ce soit. Aujourd’hui, j’en suis capable car depuis #MeToo, je n’ai plus peur. Pour moi, le consentement est symbole de respect, d’égalité, de permission et de sécurité. Et mon film est une mise en garde contre ce qui arrive lorsque vous supprimez une part de vous-même. Quand vous faites croire à votre mari ou votre partenaire que tout va bien alors que vous avez toutes ces idées noires. Si vous mettez la tête dans le sable, tout ça ressortira un jour de manière dangereuse. Dans le film, Romy entretient une liaison parce qu’elle est incapable de communiquer avec son mari et qu’elle renie une part d’elle-même. Dans notre société, les femmes se sentent souvent obligées de paraître « propres ». Elles ont le droit d’être sexualisées. Mais elles n’ont pas le droit d’aimer le sexe. C’est comme ça que nous sommes conditionnées. 

Getty Images via AFP

Comme vous l’avez rappelé, vous avez longtemps été actrice. Avez-vous songé à jouer vous-même Romy ? 

Lorsque je travaille sur les dialogues, je joue tous les rôles dans mon appartement. Même le chien ! Vu que j’ai décidé d’arrêter d’être actrice, ce n’est pas l’idée de m’écrire une scène géniale, mais pour ressentir le rythme de l’histoire et savoir si ce que je demande est possible. Sinon, je ne veux plus jouer, non, pour des raisons très personnelles. Après, je suis une grande gueule et si Christopher Nolan sonne à ma porte… (Elle pousse un cri de joie – ndlr) Disons que j’ai une relation amour-haine avec le métier d’actrice. Pour moi, c’est tout ou rien, c’est une question de vie ou de mort. Et je n’ai jamais trouvé le moyen de l’exercer sans perdre une part de moi-même. Je me sens bien plus à l’aise derrière mon ordinateur, chez moi. Un tournage, c’est six semaines. Le reste du temps, je suis seule et j’écris et c’est bien mieux pour mon équilibre ! (Rires)

Comment avez-vous convaincu Nicole Kidman ? C’est une chose d’écrire une histoire aussi audacieuse. C’en est une autre de la proposer à une aussi grande star, non ? 

Elle avait vu Instinct, mon premier film qui était très radical et sombre. À tel point qu’il n’était même pas sorti aux États-Unis. C’est quelqu’un qui ne prend pas les choses à la légère. Lorsqu’elle parle de féminisme, lorsqu’elle dit qu’elle veut soutenir les réalisatrices, c’est la vérité. Et il faut aller les chercher parce qu’il n’y en a pas tant que ça ! Elle m’a trouvé dans un coin paumé des Pays-Bas et j’ai failli m’évanouir. J’ai même dû faire des exercices de respiration avant de discuter avec elle parce qu’elle représente une telle source de respiration pour moi. J’ai commencé par écrire pour sa société de production. À sa demande, j’ai retravaillé un scénario que je m’apprêtais à tourner et puis A24 m’a proposé de réaliser Bodies, Bodies, Bodies aux États-Unis. Ensuite, j’étais tellement inspirée que j’ai eu besoin de m’enfermer loin de tout pour écrire Babygirl. Nicole m’a soutenu et lorsqu’elle m’a demandé sur quoi je travaillais, je lui ai répondu « Babygirl ». Elle a tout de suite voulu lire, mais je n’étais pas prête, j’étais terrifiée parce que c’était si personnel… Mais elle s’est montrée tellement chaleureuse, douce et convaincante que je l’ai laissé lire une première version. Et elle m’a tout de suite dit : « Je veux le faire ». 

Avait-elle des réserves sur tel ou tel point ?

Non. C’est quelqu’un qui est incroyablement intelligente. Elle m’a dit qu’elle voulait monter à bord sans sa société de production, sans personne et s’abandonner au personnage et au projet. Elle savait que c’était un film d’auteur, même si je compte bien faire gagner de l’argent à mes producteurs, car je ne travaille pas avec des fonds publics néerlandais, mais pour Hollywood ! J’avais besoin de quelqu’un qui allait jouer ce personnage tel que je l’ai écrit. Si je m’étais autocensurée, ça n’aurait pas marché. Et Nicole m’a dit : « Je ferai tout ce qui est écrit dans ces pages ». Ça ne veut pas dire que nous n’avons pas beaucoup discuté. Mais on s’est trouvée au-delà de toute forme d’ego ou de vanité. On voulait toutes les deux explorer une forme de honte et une forme de peur. C’est ce qui nous a réunies, je crois.

Pour lui donner la réplique, vous avez engagé Harris Dickinson qu’on a pu voir dans Sans Filtre de Ruben Östlund. Est-ce que l’alchimie avec Nicole a été instantanée ? 

Tous les deux sont des acteurs très demandés et avec eux, il n’y a pas la place pour une lecture afin de vérifier que l’alchimie existe. C’est une forme de pari, ce qui m’a rendue très nerveuse au départ. Harris est très Britannique, très poli si je dois généraliser. Mais il y a chez lui un côté très masculin, un truc à la Marlon Brando… et cette capacité à redevenir un petit garçon en une seconde. J’adore ! Il se trouve qu’avant de tourner, j’ai réalisé qu’ils assistaient tous les deux au gala du MET. Alors je leur ai envoyé des SMS pour leur suggérer de se rencontrer. Harris était très anxieux, mais il a trouvé Nicole ce soir-là, ils ont longtemps discuté… Quelques jours après, on a fait un Zoom et au bout de trois minutes, la connexion entre eux m’a littéralement électrifiée.

>> Babygirl de Halina Reijn. Avec Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas. 1h54. En salles


Jérôme VERMELIN

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