La politiste Nonna Mayer est directrice de recherche émérite au CNRS, rattachée au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po. Elle a codirigé Les Faux-Semblants du Front national (Presses de Sciences Po, 2015).

Vous qui étudiez le Front national (FN) puis le Rassemblement national (RN) depuis longtemps, vous soulignez que son succès électoral est « historique ». Pourquoi ?

Le but de Jean-Marie Le Pen, lors de la création du FN, en 1972, était de réintégrer toutes les familles d’extrême droite dans le jeu parlementaire : nous y sommes, elles ont été complètement normalisées. Depuis ses premiers succès, dans les années 1980, le parti d’extrême droite progresse avec une grande régularité dans les urnes : à chaque élection, Marine Le Pen, qui a accédé à la présidence du FN en 2011 [devenu le Rassemblement national en 2018], a fait mieux que ne l’avait fait son père avant elle.

Le premier tour des législatives constitue, pour ce parti, une victoire sans précédent, que ce soit en pourcentage ou en nombre de voix. Du côté des pourcentages, le RN seul obtient 29,3 % des suffrages : c’est une progression spectaculaire par rapport aux 9,7 % des législatives de 1986, aux 14,9 % de 1997, aux 13,6 % de 2012, aux 13,2 % de 2017 et aux 18,7 % de 2022. Du côté du nombre de voix, le succès, là aussi, est inédit : 9,4 millions de bulletins RN ont été glissés dans les urnes, contre 3 millions aux législatives de 2017 et 4,2 millions à celles de 2022.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Législatives : la victoire dès le premier tour de 39 candidats RN témoigne de leur enracinement local

Le 7 juillet, le RN pourrait tripler sa représentation à l’Assemblée nationale : le groupe, qui comprend aujourd’hui 88 députés, pourrait passer à plus de 250 à l’issue du second tour. Même s’il doit se contenter d’une majorité relative, c’est la première fois, depuis la seconde guerre mondiale, qu’un parti d’extrême droite obtient un nombre de députés aussi important.

Quelles sont les caractéristiques de l’électorat du RN ?

Ce parti n’a jamais eu un « électeur type », mais il a toujours eu des bastions traditionnels. Dès les années 1990, le FN a ainsi percé dans les classes populaires – et ce succès s’est confirmé cette année : il a été choisi par 54 % des ouvriers et 40 % des employés aux européennes, 57 % et 44 % aux législatives. L’absence de diplôme joue un rôle très important : le vote d’extrême droite concerne 49 % des non-bacheliers, contre seulement 22 % des titulaires d’un bac + 3 – l’instruction ouvre sur le reste du monde et familiarise avec d’autres cultures, d’autres langues et d’autres religions.

Il vous reste 61.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Partager
Exit mobile version