C’est un déchirement lorsqu’un peuple danse perpétuellement entre deux tempéraments opposés, d’un côté se lamentant sur sa disparition inexorable, de l’autre se délectant de sa résilience.

Mais telles sont nos humeurs, versatiles, à nous, Libanais, depuis que notre pays a été officiellement déclaré indépendant en 1943 : à chaque coup dur, nous croyons notre ruine imminente ; ensuite, tandis que nous pansons nos blessures, nous nous grisons du sentiment d’avoir réchappé à la mort. Dans ces humeurs, nos dirigeants se balancent avec nous, mais en direction opposée. Dans leur force, nous ressentons avec acuité notre malheur ; dans notre ténacité, ils ressentent avec vivacité leur faiblesse.

Un soir, récemment, alors que le bourdonnement des drones israéliens se mourait dans le silence pesant de Beyrouth et que nous attendions l’avalanche de bombes du jour, j’ai songé à des questions que personne ne veut se poser sur son pays. Ce Liban que j’aime tant malgré moi restera-t-il toujours un endroit si périlleusement instable, flirtant en permanence avec toutes sortes d’abîmes ? Pour ceux qui peuvent partir, existe-t-il une raison un tant soit peu valable de rester, ou bien cette mère torturée qui est la nôtre est-elle finalement en train de nous dire de fuir, une bonne fois pour toutes ?

Remèdes brouillons

A première vue, ces questions paraissent rhétoriques, nous semblons déjà en connaître les réponses, même. C’était le cas. Pendant des décennies, des remèdes brouillons et intéressés ont succédé aux crises et aux guerres, permettant à cette démocratie consociative en lambeaux de poursuivre son chemin. Et, au fil du temps, l’idée que nous ne pouvons changer qu’au niveau le plus superficiel s’est muée en conviction.

Si l’accord de Taëf de 1989 [traité interlibanais destiné à mettre fin à la guerre civile commencée en 1975], un tant soit peu audacieux mais vite abandonné, qui était censé tourner la page de quinze années de guerre civile, fait figure d’exception, ce n’est que pour mieux renforcer cette conviction. Mais qu’importe, nous nous sommes consolés.

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Nous sommes une minuscule bande de terre ouverte sur la Méditerranée, après tout ; aussi inextricables soient nos problèmes, il nous suffit d’un rien pour nous remettre sur pied, nous serrer les coudes et reprendre ensemble notre route. « Hayda Lubnan » (« tel est le Liban »), n’avions-nous de cesse de répéter, comme pour abandonner au destin toute responsabilité de nos errances.

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